L'éducation à la citoyenneté. Métropole et colonies (XIXème-XXème siècles)

Dans le cadre du CPER INSECT (2015-2022), piloté par la Maison des Sciences Humaines et Sociales de l’Université de Poitiers, sous la direction d’Eric Gojosso et Adrien Lauba, l’Institut d’Histoire du Droit (EA 3320) a conduit une série de recherches sur l’Education à la citoyenneté en métropole et dans les colonies françaises au XIXème et XXème siècles.

Contact : adrien.lauba@univ-poitiers.fr

 

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Présentation générale

À l’heure où les débats sur l’identité nationale ou sur le retour du service militaire obligatoire occupent de plus en plus l’espace public, spécialement en période de crise ou d’incertitude, il paraissait pertinent de s’interroger, dans une perspective à la fois juridique, sociale, politique et historique, sur l’éducation à la citoyenneté comme facteur d’unité et d’intégration. Sans doute n’est-il pas possible ici d’anticiper sur un avenir dont les contours peinent à se dessiner. La prégnance supposée d’un modèle républicain auquel l’on prête encore des vertus fédératrices en dépit des assauts dont il est l’objet de la part des mouvements communautaristes, racialistes et identitaires, est peut-être plus une vue de l’esprit qu’une réalité. Il n’en demeure pas moins que sa centralité dans le discours officiel conduit nécessairement à se pencher sur le thème de la citoyenneté. La République est le régime dans lequel tous les citoyens sont appelés à décider, par le biais des représentants qu’ils se sont choisis, ou, plus directement, au moyen de mécanismes consultatifs et participatifs ou encore en mettant en œuvre les procédés de la contre-démocratie décrits par P. Rosanvallon qui visent à réintroduire le citoyen dans la procédure de décision. Or, si la République en tant que forme démocratique d’exercice du pouvoir repose sur l’implication nécessaire de ses membres, encore faut-il que l’individu devienne citoyen, c’est-à-dire cesse de penser au prisme de ses intérêts singuliers pour, s’en détachant, se hisser à la hauteur de l’intérêt général et répondre en cela au vœu rousseauiste. Pour y parvenir, il doit accomplir un effort qu’il n’a pas toujours la capacité de réaliser seul. Il a besoin d’être accompagné.

D’un point de vue historique, la IIIe République incarne à cet égard une sorte d’âge d’or qui fait écho à une représentation souvent utopique du citoyen et de la place que lui assigne la modernité. Pour lever l’hypothèque monarchiste des commencements, ses dirigeants se sont employés à définir d’une part, les éléments constitutifs et caractéristiques de la citoyenneté française, articulés autour de droits consacrés par la loi, et d’autre part, les institutions – école, armée, etc. (Colloque des doctorants : D.-N. Campaore, 11 déc 2018) – ayant vocation à en assurer la diffusion. A cet égard, dans l’esprit des hommes du temps, l’enseignement primaire doit jouer un rôle de premier plan. C’est ainsi que les lois de 1881 et de 1882 le rendent gratuit et obligatoire tout en précisant qu’il « comprend l’instruction morale et civique ». Ces textes s’inscrivent en outre dans le mouvement de laïcisation : à la figure religieuse, se substitue celle de la nation comme nouveau sacré. Un soin tout particulier est notamment porté aux programmes scolaires (Colloque des doctorants, N. Leblanc, 11 déc 2018). L’éducation à la citoyenneté porte finalement sur l’importance du vote et son bon exercice, la solidarité et l’égalité, l’obéissance aux lois… car il faut « stabiliser » la République naissante (conférence CPER : H. Orizet, 8 déc 2021).

Plus largement, outre l’exemple national, les expériences européennes des XIXe et XXe siècles sont éclairantes (conférences CPER, P. Alvazzi del Frate, 25 janvier 2019 – J. Kranz, 14 juin 2017). Elles introduisent des éléments de comparaison qui donnent à la singularité nationale toute sa portée (Colloque des doctorants, Y. Kouame, 11 déc 2018). Cette dernière tient moins à une originalité trop souvent exagérée du point de vue des vecteurs, qu’au refus revendiqué et assumé de toute forme de détermination, un refus hautement préjudiciable à ceux que l’on présente comme trop dépendants d’autrui pour avoir un jugement libre et éclairé : les esclaves, les pauvres, les domestiques, les femmes, les enfants… Ils attendront parfois longtemps avant d’être pleinement admis à la citoyenneté.

La République s’impose aussi en France au moment où s’épanouit la colonisation, cette « première mondialisation », dans laquelle les principales puissances européennes se lancent à corps perdu et les démocraties libérales en tête. Le thème de la citoyenneté prend un relief singulier dans les colonies avec ce paradoxe que l’éducation qui y est dispensée, souvent de façon parcimonieuse et avec l’aide de ce clergé dont on veut à tout prix combattre l’influence en métropole (Colloque des doctorants, K. Yéo, 11 décembre 2018), de même que l’incorporation des indigènes dans une armée où ils obtiennent souvent une considération refusée dans la vie civile (Conférence CPER, J. d’Andurain, 5 juin 2018), ne produisent pas d’effets significatifs comme si, sous les tropiques, l’abolition de l’Ancien Régime n’était pas totalement consommée. Ainsi les programmes scolaires n’y sont pas les mêmes selon la nationalité de l’élève puisqu’aux enfants français s’appliquent ceux de la Métropole et aux populations locales des programmes « adaptés ». Tout en formant les enfants à la langue française et en les sensibilisant à la « grandeur de l’œuvre coloniale », l’école ultramarine a surtout cherché à former des travailleurs (enseignement surtout technique), seuls les fils de chefs ayant accès à l’enseignement supérieur (C. Raynaud-Paligot). Finalement, la diffusion d’un modèle de type métropolitain de l’école n’est que progressive, à compter du début du XXe siècle sous l’impulsion des Radicaux. C’est le cas en AOF (Colloque des doctorants, K. Moyelle et K. Denke – D. Zirignon, 11 décembre 2018) qui, comme le souligne D. Bouche, a servi de « laboratoire » à cette extension. De facto, portée souvent par l’idée d’une assimilation subordonnée à l’abandon du statut personnel et à l’acceptation de la civilisation, la transposition ultramarine finit par se faire en décalage et à pas comptés, même après les grands ébranlements de la Seconde Guerre Mondiale (Conférence CPER, E. Gasparini et S. Rahoudj, 30 nov 2017).