Notice

L’inspecteur de l’enseignement en A.E.F résume dans ce document les méthodes qu’il souhaite voir appliquer dans les écoles publiques du territoire.

Ce document est conservé à la côte GG AEF 5D 27 aux Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM).

Brouillon d’une circulaire du 6 avril 1927 de l’inspecteur de l’enseignement aux directeurs d’écoles publiques de l’A.E.F et au personnel de l’enseignement au sujet des méthodes d’enseignement

Au cours de l’année scolaire 1926-1927, je crois utile de vous adresser quelques remarques pédagogiques que j’ai pu faire au sujet de la bonne marche progressive et normale de notre enseignement.

Votre tâche est difficile ; elle exige non seulement des qualités professionnelles bien adaptées aux besoins de la Colonie, c’est-à-dire de l’expérience, mais encore beaucoup de tact et de dévouement.

Certes les bonnes volontés ne manquent pas en A.E.F et les résultats généraux marquent des progrès encourageants. Cependant il nous paraît nécessaire d’envisager avec vous le but que nous poursuivons et les moyens d’y parvenir.

Le but de l’école indigène

Les débutants sont tentés de donner un enseignement se rapprochant le plus possible de celui de France, et de ne se préoccuper que de l’instruction apparente de leurs élèves. Or l’enseignement à la colonie est beaucoup plus délicat et n’a pas pour bout essentiel de préparer des succès d’examen.

Nous avons avant tout pour mission de répandre une instruction modeste, mais bien assimilée, développant le jugement des indigènes, et un bon esprit favorable à notre civilisation, à notre influence.

Si la mémoire, les facultés d’imitation de certaines des races de l’A.E.F sont remarquables, il n’en est pas de même de leur réflexion, de leur acquisition réelle, c’est-à-dire de ce qu’on appelle en pédagogie l’attention aperceptive. L’aperception, d’après Herbart, est l’acte par lequel le système mental s’approprie un nouvel élément. Elle repose sur l’association des idées, car « ce qui est isolé est sans valeur ».

Il faut donc limiter notre enseignement aux aptitudes actuelles de l’indigène, et s’assurer qu’il s’assimile bien les connaissances mises à sa portée pendant la durée de la scolarité, les adaptant à ses besoins.

Le choix d’une méthode

Le but de l’école indigène nous oblige à rechercher la meilleur méthode d’y parvenir, la pensée directrice, la voie à suivre pour obtenir un résultat précis. C’est la méthode qui donne aux programmes toute leur valeur éducative. « Un enseignement méthodique fait des esprits méthodiques » (« Comment on devient un éducateur » par Paul Bernard).

L’instituteur doit acquérir par ses études pédagogiques, par son savoir, par son expérience coloniale, une méthode personnelle qui éclaire et vivifie son enseignement. Sans méthode, le maitre va au hasard, dispense ses efforts en essais contradictoires et ne peut obtenir aucun résultat éducatif.

[A cet endroit l’auteur a ajouté une marque renvoyant au texte suivant rédigé sur une feuille distincte : Les méthodes d’enseignement se classent en deux grandes catégories : les méthodes inductives ou intuitives qui partent de notions connues des élèves pour leur faire acquérir, par l’observation des choses et des faits, des connaissances nouvelles, et les méthodes déductives qui énoncent d’abord un principe nouveau, puis le démontrent et en déduisent les conséquences instructives et les applications. Il est évident que l’induction s’adresse particulièrement aux cours élémentaires et que la déduction, plus abstraite, exige un fonds de connaissances et ne pourra s’exercer que dans les cours supérieurs pour certaines matières : sciences, arithmétique, géométrie.]

La méthode généralement employée à l’école indigène est la méthode interrogative. Le maitre pose des questions collectives et individuelles, et en corrigeant les réponses des élèves, donne les connaissances qui font l’objet de la leçon, en s’assurant qu’elles sont comprises et assimilées par de nouvelles questions de contrôle et d’intelligence. C’est en quelque sorte la méthode socratique très simplifiée et mise à la portée des jeunes indigènes.

Cette méthode exige une sérieuse préparation des questions à poser et une connaissance approfondie du sujet à traiter. Elle est beaucoup plus difficile qu’elle ne le parait, et trop souvent les questions improvisées sont très embarrassantes pour Maitre lui-même qui se trouve pris en défaut. Des questions vagues, imprécises, générales, ne sont pas comprises et ne sont ni instructives ni éducatives. L’enfant répète des mots par un mécanisme de dressage artificiel, et si la même question est posée sous une autre forme, il est dérouté et ne répond plus ou répond des incohérences lamentables. C’est le psittacisme fréquent qui remplace l’idée par des mots vides de sens.

La méthode intuitive ou expérimentale doit s’exercer dans toutes les matières de l’enseignement. Une leçon de langage bien faite est en même temps une leçon de choses faite avec des choses.

Mais il ne suffit pas que l’élève écoute et observe, il faut qu’il agisse par la méthode active, qui est l’application logique de la méthode Froebel. Les américains vont beaucoup plus loin que nous dans les méthodes actives du « learning to know by doing » (apprendre à connaître en faisant). Le dessin, le modelage, le travail manuel, deviennent chez eux des moyens d’éducation et non pas simplement des travaux d’adresse manuelle. Cette méthode mérite de retenir notre attention et d’être employée dans la mesure de nos moyens à l’école indigène. « Une école indigène est incomplète si elle ne dispose pas d’un jardin et d’un atelier » (G. Hardy : « Une conquête morale »).

Les méthodes attrayantes des centres d’intérêt, les méthodes concrètes tendent toutes à développer l’attention, l’action, l’assimilation des idées par l’effort personnel de l’élève.

Le Maitre se fera une méthode personnelle par choix judicieux de ces méthodes appropriées à sa classe, aux matières d’enseignement, à l’âge des élèves et au but qu’il veut atteindre.

Procédés pédagogiques

Toute méthode est complétée par des procédés d’enseignement. Si par exemple l’instituteur veut rendre la leçon de lecture active, concrète, il emploiera le procédé des lettres mobiles. Il découpera plusieurs jeux d’alphabet sur des cartons, et les élèves trouveront eux-mêmes les lettres ; ils composeront eux-mêmes les syllabes et les mots de la leçon.

Ce procédé est une application excellente de la méthode active ; l’enfant apprendra non seulement beaucoup plus vite à lire, mais il s’intéressera vivement à cet enseignement d’ordinaire abstrait et monotone qui le rebute bien souvent.

Ses facultés d’activité étant en jeu, il prendra, au début de la scolarité des habitudes d’observation qu’il conservera, ce qui est d’une grande importance éducative.

L’élève qui cherche les lettres mobiles pour former un mot apprend ainsi comme en jouant l’orthographe de ce mot qui se grave dans son esprit par l’acte matériel.

En calcul, nous avons le procédé actif des bâtonnets que les élèves apportent en classe et manipulent pour représenter les nombre, effectuer des additions et des soustractions et le procédé La Martinière pour contrôler rapidement les exercices de calcul, les élèves élevant tous leur ardoise à un signal du Maitre.

Le procédé La Martinière est aussi très utile en grammaire et en orthographe.

Le cahier de devoirs mensuels, le cahier de roulement, le classement des élèves, les systèmes de récompenses et de punitions, sont des procédés d’émulations et de discipline. La leçon d’écriture expliquée au tableau noir, les dessins illustrant la leçon de langage à défaut d’objets, l’emploi de la craie de couleur, le musée scolaire, le compendium métrique, sont des procédés d’enseignement par l’aspect.

Les procédés apportent de la variété, excitent l’intérêt et agrémentent la méthode.

L’éducation

La tâche d’éducation est aussi nécessaire que le devoir d’instruction, et cependant on peut constater qu’elle est souvent sacrifiée parce qu’elle ne figure pas à l’horaire de l’emploi du temps.

Nous devons améliorer sans heurts et sans hâte l’âme indigène par une action prudente et journalière, à toutes les occasions de la vie scolaire et locale.

Dans la première classe, une pensée morale écrite chaque matin au tableau noir, et expliquée, est un bon procédé pour fixer dans l’esprit de l’indigène les principes généraux de la morale.

Il y aurait de graves inconvénients, qui n’ont pas toujours été évités, de ne s’intéresser qu’à l’instruction des jeunes noirs, à leur préparation à des diplômes : ce serait former bien souvent des déclassés et même des révoltés.

Mais l’enseignement élémentaire, la lecture, l’écriture, le calcul, les leçons de choses, d’hygiène, d’agriculture, de travaux manuels, les principes essentiels de morale, doivent être donnés au plus grand nombre possible d’élèves indigènes, ce qui permettra une sélection très sévère d’aptitudes et de caractères pour le recrutement de l’enseignement primaire supérieur.

L’hygiène

L’hygiène pratique n’est pas suffisamment enseignée dans nos écoles. On y voit encore trop d’élèves atteints de gales et de plaies qui ne sont pas soignées parce que le Maitre ne passe pas de visites minutieuses et journalières de propreté, se contentant d’inscrire sur un cahier ceux qui veulent aller à la visite médicale. C’est ainsi que la gale et d’autres maladies se communiquent par le contact des élèves en classe.

Il faut attacher une grande importance à l’hygiène scolaire et aux visites de propreté. Une petite pharmacie est indispensable et l’administration accordera toujours cette dépense des plus utiles.

L’hygiène théorique est inefficace si elle n’est pas mise en pratique. Le rôle social de l’Instituteur est d’unir ses efforts à ceux du Médecin et d’écarter soigneusement de l’école les malades et les malpropres.

L’école joyeuse

Il n’est pas nécessaire que l’instituteur prenne un air toujours sévère et dur, sous prétexte de discipline. Le petit noir est naturellement gai, confiant, affectueux, obéissant. Utilisons ces qualités précieuses qui facilitent l’éducation sans nuire à la discipline et à l’ordre. Laissons à l’indigène sa spontanéité franche qui ne disparait que par la peur, la contrainte, pour faire place à la dissimulation, à l’obéissance passive et seulement apparente, à la rancune cachée qui s’exercera tôt ou tard contre notre autorité.

La discipline est facile à l’école indigène quand le maitre est calme, de bonne humeur sans familiarité, et qu’il se fait aimer de ses élèves par l’intérêt qu’il leur porte, par sa justice, par son travail et son dévouement. Les indigènes sont à ce point de vue très observateurs. Ils s’attachent à leur Maître de tout leur cœur naïf et font les plus grands efforts de travail et d’application, par un sentiment intuitif de reconnaissance que les Noirs sont heureux de manipuler.

L’école indigène sera joyeuse pour donner tous ses fruits. Le chant et les jeux doivent y être en honneur car faire aimer l’école est le meilleur moyen pour nous de faire aimer la France.

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