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Après une phase de protectorat entre 1885 et 1894, Madagascar est déclarée colonie française entre 1896 et son indépendance en 1960.
Les sources conservées ayant trait à l’éducation française à Madagascar sont réduites. Les deux documents reproduits tirent à grands traits un panoramique de la question.
Ils sont conservés aux Archives Nationales d’Outre-Mer à la cote GGM 5 2 D2.
Historique.
I° Avant la conquête de 1820 à 1896.
Jusqu’en 1896, l’histoire de l’enseignement à Madagascar se confond avec celle des Mission religieuses, néanmoins, il est possible d’y distinguer plusieurs périodes d’après l’attitude du gouvernement malgache à l’égard des écoles.
Les missionnaires anglais (London Missionnary Society) arrivèrent à Tananarive en 1820, et en furent expulsés en 1835. Les écoles qu’ils fondèrent pendant ces 15 années avaient le caractère d’écoles officielles.
De 1861 – époque du retour des missionnaires anglais et de l’arrivée des missionnaires catholiques – jusqu’en 1869, les écoles fondées par les missions furent des établissements privés : Radama II les encouragea ; Raoherina ne fit que les tolérer. Aussi étaient-elles peu nombreuses, moins de 100. Les lois malgaches de 1868 ne contiennent aucune disposition concernant les écoles.
En 1869, la reine et le premier ministre se convertirent au protestantisme, et cet événement politico-religieux eut des conséquences importantes au point de vue scolaire. Les écoles de la London Missionary Society s’accrurent dans des proportions considérables. De 28 qu’elles étaient en 1868, leur nombre s’éleva à 149 en 1869, à 359 en 1870. Les Hova dociles aux suggestions du pouvoir établi affluèrent dans les écoles protestantes et notamment dans celles de la L.M.S. Une très vive émulation régna dès cette époque entre la Mission catholique et les Missionnaires anglais soutenus par la politique anti-française du gouvernement Hova. De plus, il s’était fondé à Tananarive une église protestante, mais indépendante dans une certaine mesure, de la Mission de Londres : l’Église du Palais. Les membres de cette Église étaient la reine, le premier ministre, les officiers de la cour malgache, etc… Elle ne tarda pas à envoyer dans les campagnes des évangélistes, préparés, il est vrai, au collège de la L.M.S mais qui aux yeux des populations avaient néanmoins le caractère d’envoyés du gouvernement, d’agents officiels. C’était un embryon d’Église d’État. En 188, 170 écoles relevaient de l’Église du Palais. On peut donc faire remonter à cette époque la création des premières écoles officielles, bien que ces établissements n’aient pas été, à proprement parler, des créations de l’État, mais bien d’une Eglise, d’une réunion de malgaches groupés par la religion et à la tête desquels se trouvaient la reine et le premier ministre.
En ce qui concerne les écoles relevant des missions le gouvernement manifesta à diverses reprises des velléités de s’en occuper, mais il faut arriver en 1881, pour que ces velléités se traduisent par un texte de loi.
Dans le Code des 305 articles, 35 articles sont consacrés aux écoles ; c’était une nouveauté, nouveauté également, la création d’un Ministère de l’Instruction publique. -Il est intéressant d’analyser cette première « loi organique » de l’enseignement à Madagascar, loi complète sur plusieurs points et qui, en partie pour cette raison ne permit pas au Gouvernement malgache d’atteindre le but qu’il visait, de prendre en main la direction des écoles sans en créer lui-même.
Le ministère de l’instruction publique, ou plus exactement, « le chef des fonctionnaires de l’enseignement, avait pour attributions de « veiller à ce que les enfants fussent mis à l’école et de s’occuper des progrès de l’instruction », « de faire subir des examens aux élèves de toutes les écoles, quels qu’en fussent les professeurs et de distribuer aux élèves les plus forts des encouragements donnés par le Gouvernement ».
En vertu de ses attributions, il avait sous ses ordres des « masoivohos », qui devaient être désignés par lui et placés « dans tous les villages où se trouvaient des écoles » pour surveiller les écoles et les instituteurs et pour lui signaler tout ce qui, à leur sens, paraissait capable de favoriser le progrès des études et aussi tout ce qui pourrait y mettre obstacle ». Relevaient également du Ministère de l’Instruction publique, des inspecteurs à la fois « instruits et sûrs » et qui étaient chargés de faire subir les examens dans les écoles. – Quant aux instituteurs, ils étaient désignés par les missionnaires, et n’étaient pas comme les « masoivohos » et les inspecteurs d’écoles des agents du Ministre de l’Instruction publique. Cependant ils ne pouvaient abandonner leur poste sans l’autorisation du Gouvernement. Certains, ceux qui possédaient le diplôme d’instituteur étaient exemptés de la corvée ; – le gouvernement pouvait prendre l’initiative de les révoquer s’ils se conduisaient mal. Diverses autres mesures accusent la pensée du gouvernement malgache d’exercer sur les écoles un contrôle rigoureux. Ainsi, les élèves, les instituteurs, les masoivohos devaient être inscrits dans des livres ad hoc au ministère de l’instruction publique, et si un élève venait à mourir, le ministre de l’Instruction publique devait en être aussitôt informé. L’enseignement était obligatoire pour les enfants de 8 à 16 ; «toutefois, si, avant l’expiration de ce délai, les enfants avaient acquis le degré d’instruction requis, ils pouvaient, s’ils le désiraient, quitter l’école ». Les parents qui n’envoyaient pas leurs enfants à l’école, ou qui ne veillaient pas à ce qu’ils fussent assidus, étaient passibles d’une amende de cinq francs ; de même que ceux qui envoyaient leurs enfants dans des écoles non reconnues, c’est-à-dire non inscrites sur les contrôles du Ministre de l’Instruction publique ; car la loi était formelle : « ceux qui voulaient construire une école devaient en référer au Ministre de l’Instruction publique ». Mais celui qui dirigeait une de ces sortes d’écoles clandestines n’était pas puni.
Les parents étaient libres de choisir l’école dans laquelle ils voulaient faire élever leur enfants, toutefois, paternellement, la loi ajoutait : «il est préjudiciable pour les enfants de les changer souvent d’écoles cela retarde leurs progrès ».
Un autre article punissait d’une amende de 3 piastres l’instituteur qui « prenait les élèves d’une autre école » pour les mettre dans la sienne ou acceptait leur changement d’école alors qu’ils n’avaient pas atteint le degré d’instruction requis. Pratiquement, les enfants ne pouvaient donc changer d’écoles, leurs parents étaient liés par leur propre choix. C’était une disposition ingénieuse ou naïve qui permettait au Gouvernement, par une pression opportune, de peupler les écoles de son choix.
Chaque année, le Ministre de l’instruction publique devait s’assurer des progrès des élèves en instituant des examens à la suite desquels une sorte de « certificat d’études primaires » était délivré. Les examens portaient sur la lecture, l’écriture appliquée et le calcul jusqu’à la règle de trois. Les élèves qui les avaient subis avec succès pouvaient quitter l’école avant d’avoir atteint l’âge de 16ans.
Il était même institué un autre examen « supérieur » au précédent, mais dont le programme n’était pas donné par la loi. Enfin, les candidats aux fonctions d’instituteurs devaient présenter des garanties de capacité et subir un examen. Ceux qui le subissaient avec succès recevaient un diplôme spécial et nul ne pouvait être désigné comme instituteur s’il ne possédait ce diplôme.
Ces diverses mesures, dont certaines se retrouvent dans la législation actuelle, témoignent de l’intention du gouvernement d’exercer une surveillance active sur les écoles. « Il appartient au gouvernement, est-il dit dans la loi, de prendre toutes les mesures propres à améliorer l’enseignement ». C’était déjà affirmer le droit de l’État en matière d’instruction. Mais la loi des 305 articles ne faisait pas cependant de l’enseignement « un service public », elle n’instituait pas le « monopole de l’enseignement ». Les instituteurs n’étaient pas, à proprement parler des fonctionnaires de l’État, payés par lui, ne relevant que de lui. D’ailleurs, il n’y avait pas de budget d’État de l’Instruction publique ; le traitement des instituteurs était bien en grande partie à la charge des habitants, mais ceux-ci le leur servaient directement et non pas sous la forme d’une taxe imposée par l’État. De plus, disait la loi « tout étranger, venu pour professer dans les écoles, pouvait enseigner et aider à l’amélioration de l’enseignement », et « s’ils le voulaient » les « missionnaires et les évangélistes pouvaient faire passer des examens dans les écoles placées sous leur surveillance, ils devaient toutefois en informer, au préalable, le ministre de l’instruction publique ». Une part était donc laissée à l’initiative privée et il semble bien que Rainilaiarivony se soit moins préoccupé d’organiser un enseignement d’État que de se servir des missions et de les subordonner au gouvernement. Mais avec le développement de l’Eglise du Palais dont, en fait, il était le chef, et sans les soucis que lui causait la menace d’une occupation française, on peut dire, par ce que l’on a pu démêler de ses intentions qu’il serait arrivé, sans doute, à organiser une sorte d’enseignement officiel protestant et dont les charges auraient été supportées directement par les habitants. Il en fut de l’essai d’organisation de l’enseignement tenté par Rainilaiarivony comme de l’institution antérieure des « sakaizam-bohitra ». Dans un article de Notes explorations et reconnaissances, Monsieur Julien a montré comment Rainilaiarivony avait été mal servi, peut-être mal compris par son entourage et comment l’institution des « sakaizam-bohitra », annoncée comme devant assurer à tous la tranquillité et rendre plus rapide l’expédition des affaires publiques, jeta, au contraire sur le pays la plus grande des perturbations. Les Masoivohos du Ministre de l’instruction publique qui ne recevaient aucun traitement, se firent payer par les parents des délinquants. Puis, au lieu d’être des agents du gouvernement, ils ne tardèrent pas à devenir les agents des missions religieuses, simplement agréés par le ministre de l’Instruction publique. Considéré, dit M. Julien, comme des fonctionnaires, et, de ce fait, exempts de corvées et autres charges, ils devinrent légion ; en réalité, ils furent pour les missions des agents recruteurs d’élèves et de prosélytes ; leur zèle, souvent mal inspiré, donna lieu aux pires abus.
Le nombre de Masoivohos des diverses missions en Imerina n’était pas, en 1895, inférieur à 2000. L’institution des Masoivohos tournait donc contre le gouvernement qui avait pensé organiser une surveillance, à son profit, des écoles relevant des missions.
Ce n’était pas non plus le gouvernement qui faisait subir l’examen aux candidats instituteurs, mais les missions elles-mêmes, et il délivrait une sorte de diplôme aux lauréats de ces examens qu’il n’avait pas fait subir et dont il n’avait même pas tracé le programme !
En réalité, le gouvernement n’eut pas non plus d’inspecteurs, et c’étaient les missions qui faisaient subir dans les écoles les examens prévus par la loi.
L’enseignement étant obligatoire, et les seules écoles existant dans l’Imerina étant des écoles religieuses, la religion chrétienne devenait obligatoire ; et c’était accroitre prodigieusement l’influence des missions que la loi entendait d’autre part subordonner à l’État.
Enfin Rainilaiarivony manqua d’agents pour veiller à l’application de la loi ; le contrôle du gouvernement sur les écoles fut tout à fait insignifiant : la direction des écoles resta aux missions, à qui ce régime fut extrêmement favorable ; et voici comment la nouvelle réglementation est appréciée par M. Clark, missionnaire de la FFMA dans un article de l’Antananarivo Annual de 1883 (p. 183) :
« Sauf dans quelques cas (une douzaine environ) où l’église du Palais a fourni des évangélistes et des professeurs, le gouvernement n’a rien fait pour l’entretien des écoles en dehors de la nomination des professeurs assistants, qui, cependant, ne reçoivent de lui aucun salaire.
En théorie, les rapports du missionnaire avec les écoles sont difficiles ; en pratique, il n’en est rien : il nous est permis de visiter ces écoles, de les pourvoir en livres et d’aider à l’entretien du professeur ; nous sommes également autorisés à inspecter les écoles, mais, pour cela, nous sommes tenus – non pas de demander la permission, mais d’en informer le ministre de l’Instruction Publique.
Si nous voulions nous montrer exigeants nous pourrions trouver dans tout cela matière à récriminations, mais cela n’en vaut pas la peine, et, à moins qu’un autre roi ne vienne —, nous n’aurons, vraisemblablement, guère d’ennuis.
De sorte que, pour l’instant, nous continuons notre voie en faisant de notre mieux – suivant la permission si gracieusement accordée – reconnaissants de ce que nous puissions influencer en bien la multitude que représente cette génération qui se lève au centre de Madagascar.
Il reste à voir comment fonctionnera ce « système solaire ». J’avoue avoir des craintes – et des faits évidents viennent déjà les justifier – qu’une fois mis en train, il sera ensuite abandonné à lui-même jusqu’au jour où tout tombera dans la confusion, hormis ce dont se seront occupés les missionnaires – tant il est vrai que le gouvernement fait si peu et que le peuple semble si peu connaitre ce qu’il y a lieu de faire en vue d’un effort systématique et soutenu dans n’importe quelle direction ».
Tel était le régime sous lequel vivaient les écoles de l’Imerina, la seule région de Madagascar pour laquelle il avait été institué, au moment de l’occupation française, et qui se prolongea jusqu’en 1897. A cette époque les missions établies à Madagascar étaient :
1°- La mission catholique (Jésuites, Frères des Écoles chrétiennes, Sœurs de St-Joseph de Cluny) dans l’Imerina et le Betsileo et à Tamatave ;
2°- La London Missionary Society, qui s’était réservé le monopole de l’évangélisation de l’Imerina à l’exclusion de toute autre mission protestante, sauf dans un petit secteur qui appartenait à la FFMA, et qui avait aussi évangélisé le pays Sihanaka, fondé une mission à Fianarantsoa et de laquelle relevaient encore un certain nombre d’églises disséminées dans tout Madagascar et fondées par une sorte d’Association indigène pour la propagation de la foi, l’ « Isan’enim-bolana ».
3°- La FFMA dans la région Ouest de l’Imerina
4°- La mission norvégienne, dont les centres principaux étaient Betafo dans le Vakinankaratra et Fianarantsoa. Dans le Betsileo, elle était en rivalité avec la LMS.
5°- La mission anglicane qui n’avait que quelques églises en Imerina et sur la côte est près de Mahanoro et d’Andovoranto.
6°- La mission luthérienne d’Amérique à Fort Dauphin. Les établissements relevant des missions étaient au nombre d’environ 3500 en Imerina et hors de l’Imerina, parmi lesquels il y a lieu de distinguer pour juger l’enseignement qui y était donné : les écoles élémentaires, situées pour la plupart dans les campagnes, et les écoles supérieures dans les villes. Les premières étaient dirigées par des indigènes, les secondes par des européens.
Il serait difficile d’apprécier la valeur de l’enseignement des écoles élémentaires, si ces écoles avaient disparu lors de l’occupation française ; mais jusqu’en 1901, le caractère scolaire leur fut laissé par le gouvernement de la colonie. Elles étaient naturellement de valeur très inégale, et, même en Imerina, le programme minimum de la loi de 1881 n’y était pas toujours appliqué.
La LMS et la FFMA firent en Imerina un effort très sérieux pour organiser d’une façon solide l’enseignement élémentaire ; mais le nombre de leurs écoles s’accrut si rapidement qu’il ne leur fut pas possible de placer à la tête de chacune d’elles un bon instituteur, et même dans leurs districts et à plus forte raison dans ceux des autres missions, les écoles n’étaient souvent que des établissements où les enfants ne venaient que trois heures par jour, quatre jours par semaine et où une grande partie du temps était employé à chanter des cantiques, à lire la Bible. L’enseignement de la religion par des procédés très imparfaits car les instituteurs malgaches devaient être de piètres théologiens, était au premier plan. L’enseignement proprement dit lui était subordonné ; on apprenait à lire, à écrire surtout parce que cela était nécessaire à l’instruction religieuse. Cependant, comme les enfants devaient passer 8 ans à l’école, un certain nombre finissaient par apprendre à lire, à écrire et à compter. Vingt-cinq années d’une vive émulation entre les missions permirent à une partie relativement considérable de la population libre d’acquérir ce savoir élémentaire ce qui causa un grand étonnement à la suite de la conquête. On s’imaginait trouver un peuple tout à fait ignorant, on trouva surprenant qu’il n’en fut pas ainsi, et l’on eût à cette époque une tenance marquée à exalter l’œuvre scolaire faite dans les campagnes par les missions.
Pourtant, il faut prendre garde de rien exagérer, car [selon] une statistique établie par la Mission de Londres et fournie au Service de l’enseignement l’an dernier, cette société n’évalue en somme qu’à 40 000 le nombre des adultes de l’Imerina vivants, au moment de la conquête qui avaient appris à lire dans ses 600 écoles.
Peut être aussi confondait-on les écoles de campagne, les écoles élémentaires, avec les écoles supérieures des villes qui étaient florissantes et où le niveau des études était satisfaisant. A Tananarive notamment, une nombreuse jeunesse se pressait dans les écoles des Frères, le collège d’Ambohipo, l’école d’Ambohijatovo de la FFMA, le collège de la LMS, le collège St-Paul (Ambatoharanana) de la mission anglicane.
La population de Tananarive est en générale éclairée et apprécie les bienfaits de l’instruction. A Fianarantsoa, la mission catholique et les missions protestantes avaient également des établissements importants.
Au moment de la conquête, les missions avaient donc deux sortes d’établissements : dans les campagnes, un peu partout, des établissement auxquels souvent il pouvait paraître ironique de donner le nom d’école, dans les villes, des établissements, célèbres d’ailleurs parmi les Malgaches, bien organisés et où il était obtenu des résultats honorables.
II – Depuis la conquête – Année 1896. –
Après la guerre, suivant en cela les traditions du gouvernement malgache et des gouvernements européens qui estiment de plus en plus que l’enseignement est une chose d’État, le gouvernement de la colonie s’intéressa vivement au développement de l’instruction.
La loi du 9 mars 1896, publiée au Journal officiel de la Colonie, signée Ranavalomanjaka et contresignée Laroche est le premier acte officiel, relatif à l’enseignement, et émanant du gouvernement du protectorat.
[…] [Consultable librement sur Gallica, JO de Madagascar et dépendances, 17 avril 1896, p.33.]
Cette loi atténuait la disposition du Code des 305 articles qui ne permettait pas aux enfants de changer d’école, dorénavant ils purent le faire, mais seulement une fois par an, à l’époque des vacances.
Le général Gallieni considéra que cette loi de 1896 était une demi-mesure à laquelle il ne fallait pas s’arrêter. Une circulaire du 1er novembre 1896, commentée par les instructions du gouverneur général aux commandants de cercle, établit pratiquement la liberté scolaire complète et dès lors les Malgaches purent se rendre compte peu à peu qu’ils étaient plus liés par l’ancien code malgache. Un bouleversement inévitable s’en suivit ; les Malgaches passèrent en foule des écoles étrangères aux écoles françaises. En même temps, les Masoivohos, qui, par leur zèle, avivaient les luttes scolaires et religieuses furent supprimés. Depuis la répartition des élèves s’est faite régulièrement, avec plus de calme, chacun allant à l’école de son choix. Le gouvernement affirma à diverses reprises sa neutralité en matière religieuse.
Le nombre des enfants d’âge scolaire a d’ailleurs doublé, par suite de la suppression de l’esclavage, la loi sur l’obligation scolaire devenant naturellement applicable aux enfants d’esclaves, qu’elle n’atteignait pas autrefois.
Après l’occupation française l’organisation des missions se transforma.
Les jésuites, desquels dépendaient au point de vue pécuniaire et religieux, les Frères et les Sœurs, étaient les seuls missionnaires catholiques de Madagascar. En 1897 arrivèrent les pères du St Esprit et les Lazaristes. Madagascar se trouva ainsi divisé, au point de vue catholique, en trois vicariats apostoliques et eut trois évêques : au Nord, sont les Pères du St Esprit, avec Diégo comme centre principal, au Sud les lazaristes, à Fort-Dauphin, au centre, les Jésuites, à Tannarive et à Finarantsoa.
En 1897 également s’accrut le nombre des frères des écoles chrétiennes, en même temps qu’intervenait entre eux et le gouvernement de la République française un contrat aux termes duquel leur institut s’engageait à fournir la colonie de Madagascar et pendant 20 ans 15 frères moyennant 25 000f par an. Ces 15 frères furent appelés à Tananarive et bienveillamment, le gouvernement qui n’y était pas tenu par le contrat, créa pour eux dans cette ville cinq écoles. Plus exactement, cinq des écoles élémentaires qui relevaient de la Mission Catholique cessèrent d’être dirigées par des indigènes, furent installées dans des locaux appartenant au gouvernement et confiées à des instituteurs français payés par la colonie. En fait c’était la transformation en écoles officielles de cinq écoles de la mission catholique.
Dans des conditions analogues une école de filles fut créée à Ambositra et confiée aux sœurs de St-Joseph de Cluny. Aux termes du contrat passé par le ministère des Colonies, représentant la Colonie de Madagascar, avec l’institut des sœurs de St-Joseph de Cluny, la colonie devait donner à chacune des sœurs qu’elle demanderait à l’Institut, 1200f par an. Seules furent demandées les 3 sœurs d’Ambositra.
La situation des sociétés religieuses protestantes se modifia également par l’arrivée à Madagascar de missionnaires appartenant à la société des missions évangéliques de Paris. Un accord était intervenu entre la société des missions de Londres et cette société. La LMS céda à la mission de Paris toutes ses écoles de l’Imerina et du Betsileo ; mais elle n’abandonna la direction de l’œuvre religieuse que dans la moitié des districts où les missionnaires anglais furent remplacés par des missionnaires français. Et c’est ainsi qu’on put voir dans des régions où les missionnaires français protestants n’exerçaient aucune autorité, au point de vue religieux, des écoles qui portaient l’inscription : École protestante française. Les évangélistes de la LMS étaient en même instituteurs de la MPF. Cette situation pénible pour la plupart des missionnaires français, leur fut pendant longtemps préjudiciable dans l’opinion publique et si leur venue à Madagascar eut certainement pour effet d’éclairer les malgaches et de les amener à comprendre que France et catholicisme ne s’identifient pas, il n’en est pas moins vrai que, par solidarité protestante, l’œuvre de la mission de Paris, à son arrivée à Madagascar se distingua mal, dans certains endroits, de celle de la LMS.
Au moins une fois en 1899, la LMS paya une partie des dépenses de fonctionnement des « écoles protestantes françaises » situées dans ses districts missionnaires. La part qu’elle prit à sa charge s’éleva à 37850f et cette somme figure dans le compte-rendu de la situation financière de la MPF publié par le Journal des Missions évangéliques sous la rubrique : « allocation de la Société des missions de Londres pour les écoles primaires de ses districts ». Cette situation prit fin en 1900. En mars, puis en juillet 1900, la MPF rétrocéda à la LMS, les écoles qu’elle dirigeait dans les districts où elle n’assumait pas l’œuvre d’évangélisation.
Non seulement les missions françaises ont pris plus d’importance à Madagascar, mais les missions étrangères ont dès 1897, manifesté une tendance qui à persisté, à se franciser dans une certaine mesure.
Dès 1897, la FFMA et la MN comptèrent parmi leurs membres des missionnaires et des instituteurs français, la LMS et la mission anglicane ne tardèrent pas à les imiter.
Mais l’événement scolaire le plus important de l’année 1897 est la création d’un enseignement officiel laïque. Jusqu’ici l’éducation des malgaches était entièrement aux mains des missions religieuses. Le général GALLIENI estima qu’il était nécessaire de créer des écoles neutres au milieu des écoles confessionnelles pour donner aux malgaches les moyens de s’instruire sans faire nécessairement acte d’adhésion religieuse et pour ramener la paix dans les villages troublés par la rivalité des missions.
Le 2 janvier 1897, un arrêté créait l’école Le Myre de Vilers, qui comprit trois sections : la section des interprètes, la section des maitres d’école, la section des candidats aux autres fonctions administratives. Aux termes de cet arrêté : les employés de l’administration et les instituteurs publics que l’État pourrait avoir à placer dans différents centres devaient être choisis de préférence parmi les élèves diplômés de l’école Le Myre de Vilers.
Mais le caractère de l’école est mieux défini par les discours prononcés le jour de l’inauguration, le 22 mars, que par l’arrêté du 2 janvier :
« Pareil à cet édifice étrange, qui fût bâti, moitié par un Français, moitié par un Anglais (l’école était installée dans le palais de Manjakamiadana) et qui n’offre ni unité ni cohésion entre les deux parties de l’architecture, l’enseignement que l’on donnait hier à Madagascar portait en lui les des germes de désaccord qui faussaient le développement naturel du progrès par l’instruction. Il ne faut plus qu’il en soit de même aujourd’hui. La direction unique de l’État français se substitue à l’ancien conflit et se met au-dessus de toutes les querelles.
Cette nouvelle institution est organisée d’après les principes admis en France, c’est-à-dire de la plus complète neutralité du point de vue religieux. Elle sera ouverte indistinctement à tous, catholiques comme protestants, auxquels tout le temps nécessaire sera d’ailleurs laissé, en dehors des heures d’école, pour se livrer aux pratiques de leur culte. Les Malgaches qui se verront assis sur les mêmes bancs, qui écouteront dans la même enceinte les leçons professées par des maîtres appartenant eux-mêmes à des religions différentes finiront peut-être par acquérir une notion qui leur manque entièrement aujourd’hui. Ils comprendront que le gouvernement de la Colonie, inspiré des mêmes principes que celui de la Métropole, ne s’identifie avec aucune forme religieuse, n’admet de différences entre ses nouveaux sujets que celles établies par le mérite et le travail.
A ce point de vue la seule composition du corps enseignant de l’école est hautement significative un père jésuite, le P. Thomas et un missionnaire protestant, M. Standing, ont bien voulu l’un et l’autre y accepter une chaire. Ceci est un gage que dans le « Palais de Paix » se fera d’abord entre les Malgaches, la paix religieuse ».
En même temps que l’école Le Myre de Vilers, avaient été crées l’école de médecine et l’école professionnelle. L’enseignement laïque débutait donc officiellement à Madagascar par la création de trois écoles supérieures. Mais si l’école Le Myre de Vilers avait une section normale destinée à préparer des instituteurs publics, cette section n’était pas l’école normale officielle. On pouvait choisir les instituteurs officiels parmi les élèves des autres écoles. Cela eu lieu, en effet, dans une assez grande proportion ; la nomination des instituteurs était d’ailleurs laissée dans certains cas aux administrateurs et aux commandants de cercle ; et il arriva dans certaines provinces que l’on prit pour instituteurs des jeunes gens encore élevés la veille dans une simple école primaire privée. Bientôt, les indigènes comprirent qu’il n’était pas besoin d’aller à l’école Le Myre de Vilers pour être instituteur officiel, et ils restèrent dans les écoles privées de la ville ; le recrutement de la section normale en fut affaibli. D’ailleurs, les missions, qui d’abord avaient envoyé leurs élèves à l’école Le Myre de Vilers ne tardèrent pas à y renoncer, car pour les faire entrer dans l’administration, cela n’était point nécessaire. Enfin, la présence à l’école de professeurs pris dans des missions rivales, l’absence d’instituteurs laïque (les autres professeurs appartenaient aux diverses administrations de la Colonie) montrent que dans cette première création, l’enseignement officiel laïque avait peine à se dégager de l’enseignement privé confessionnel. Et non seulement l’école normale Le Myre de Vilers n’était pas seule chargée de préparer les instituteurs officiels ; mais les missions auraient même pu y prendre des instituteurs pour leurs écoles, pourvus du diplôme de sortie de l’école Le Myre de Vilers.
Tels furent les débuts timides de l’enseignement officiel à Madagascar, sans doctrine, cherchant sa place entre les diverses missions.
Entre l’arrêté du 2 janvier 1897 créant l’école, et l’inauguration de cette même école, un autre arrêté avait été pris, règlementant la situation des maîtres indigènes : c’est cet arrêté qui est comme l’acte de naissance de l’enseignement officiel rural : « considérant l’utilité de la création d’un corps enseignant officiel placé sous l’action directe de l’autorité locale, pour appliquer les programmes d’instruction tracés par le gouvernement. Il est créé des écoles officielles dans les campagnes de l’Imerina ».
Dans ces campagnes, la lutte religieuse était vive et avait surtout les écoles pour théâtre. C’est pour grouper sur les mêmes bancs tous les enfants sans distinction de religion, pour réaliser une œuvre d’apaisement, que l’enseignement laïque fut créé à Madagascar ; ce rôle est tout à fait conforme à ses principes.
Ce même arrêté du 12 février 1897 exempte de prestations, d’impôts de service militaire les instituteurs privés qui étaient alors seuls à exister. Il pose le principe de la gratuité de l’enseignement, même de l’enseignement privé. Aucune rémunération n’était due aux maîtres d’école. C’est donc aux missions qu’il appartenait de les payer. Toutefois les instituteurs libres pouvaient recevoir, après autorisation du commandant de cercle, des cadeaux du Fokon Olona, et des églises. Comme autrefois le gouvernement malgache, le gouvernement de la colonie donnait donc un caractère semi-officiel à l’enseignement privé ; il ne faisait pas des instituteurs privés des fonctionnaires, mais les avantages qu’il leur accordait, témoignaient aux yeux des populations qu’ils n’étaient pourtant pas de simple indigènes et que l’administration, entre un instituteur des missions et un cultivateur, faisait quelque différence. Enfin, aux termes de cet arrêté les instituteurs officiels devaient « jouir des mêmes privilèges que les instituteurs libres ». De plus ils avaient droit au logement et à la jouissance de terrains de culture ; ils recevaient un salaire – et « étant fonctionnaires », ils avaient droit aux nominations d’honneurs.
A sa naissance, l’enseignement officiel se distingue donc à peine de l’enseignement privé. Mais il existe : et il ne tardera pas à se développer. Incomplètement défini dans les arrêtés, l’enseignement laïque ne fut pas d’ailleurs compris par les indigènes. Les indigènes de l’Imerina et du Betsileo sont en effet habitués à voir confondus le temple ou l’église et l’école, l’idée d’enseignement est associée dans leur esprit à l’idée de religion, de mission ; les écoles officielles étaient dans leur pensée des écoles d’une religion nouvelle. Cet état d’esprit s’est d’ailleurs malheureusement peu modifié. Cependant [illisible] à diverses reprises, depuis, le gouvernement a expliqué ce qu’il faut entendre par école laïque et certaines écoles ont été inaugurées avec une certaine solennité, celle de Tsiafahy par exemple : dont l’ouverture fut l’occasion d’un important discours du Colonel Sucillon :
« Jusqu’à présent, dit-il, il y avait à Tsiafahy deux écoles : une catholique et une protestante. Dans ces deux écoles, les enfants recevaient l’enseignement de maîtres dévoués et respectables, qui s’efforçaient, avec un zèle méritoire, d’apprendre aux écoliers les connaissances élémentaires, en même temps que leurs devoirs envers Dieu, leur pays et leur famille.
Malheureusement, les enfants de ces écoles ne se connaissaient pas entre eux ; dès leur jeune âge, catholiques et protestants vivaient séparés, plus tard parvenus à l’âge d’homme, ils continuaient à vivre à part, selon leur religion, souvent même en ennemis. »
Le but de l’école officielle, qui s’ouvre aujourd’hui à Tsiafahy, n’est donc pas d’empêcher les parents d’envoyer leurs enfants à l’école de leur choix ; en créant cette école, le gouvernement a eu l’intention d ‘y réunir les enfants, avec le consentement de leurs parents, pour y recevoir en commun le même instruction. Qu’ils soient catholiques, qu’ils soient protestants, on leur apprendra ce qu’un homme doit savoir pour être au courant de ce qui se passe autour de lui, c’est-à-dire, à lire, écrire et compter, on y ajoutera des notions de l’histoire et de la géographie de la France et de Madagascar, les deux patries des Malgaches, ainsi que les principes de morale communs à tous les peuples civilisés.
L’école n’est donc ni protestante, ni catholique ; elle est ouverte à tous, indifféremment, pour que tous viennent s’instruire et, en recevant la même instruction, apprennent à se connaître, à s’estimer, à s’aimer les uns les autres ; c’est une école française et les malgaches, enfants de la France y seront tous les bienvenus. »
Malheureusement, ces fêtes n’avaient guère de retentissement, et des discours de ce genre, si clairs pour nous français, n’étaient pas accessibles aux Malgaches. D’autant qu’il ne fallait pas compter sur les missionnaires pour les expliquer. Pendant les derniers mois de l’année 1897, et pendant toute l’année 1898, de nombreuses écoles officielles furent cependant ouvertes. Le meilleur moyen d’en faire comprendre par des indigènes le caractère et le but était évidemment d’en créer au milieu d’eux et de les faire fonctionner devant eux. La conception de l’école laïque se précisera pour les indigènes dans la mesure où elle se réalisera.
En résumé, les modifications qui se sont produites au sein des missions, la création d’un enseignement officiel laïque font de l’année 1897 une période importante de l’histoire de l’enseignement à Madagascar, et rendirent possible le régime dont l’arrêté du 16 avril 1899 est la première formule et celui du 25 janvier 1904, la plus récente.
III – Évolution de l’organisation du service de l’enseignement –
A) Collaboration de l’enseignement privé et de l’administration de la colonie
Quel est ce régime ?
Le gouvernement se proposa pour but de faire des Malgaches, notamment par le moyen d’écooles de divers degrés, des sujets fidèles de la France, de les mettre en possession d’un métier leur permettant d’accroître leur bien-être et d’être, s’ils le veulent, des auxiliaires instruits pour l’administration et les colons.
Pour atteindre ce but, il créa des écoles officielles, mais il ne se proposa pas de les substituer aux écoles privées, il ne se proposa pas de substituer l’enseignement laïque à l’enseignement confessionnel des missions ; il organisa la collaboration des missions à l’œuvre qu’il entreprenait et s’en réserva la direction.
Voilà exposés succinctement, les principes selon lesquels repose l’organisation de l’enseignement dans la colonie, et que l’on peut déjà trouver, dans les actes officiels de l’année 1896 concernant l’enseignement.
Ainsi, la circulaire du 5 octobre 1896 prescrivait aux résidents, commandants de cercle et chefs de province d’établir des programmes ayant un « caractère professionnel permettant de fournir aussitôt que possible des auxiliaires à nos colons pour leurs entreprises industrielles et agricoles. ». La circulaire du 11 novembre le précisait :
« Il faut tendre à donner à l’école un caractère pratique et organiser partout où ce sera possible, dans les postes, en particulier des écoles professionnelles.
Vous avez à votre disposition les corporations malgaches, forgerons, charpentiers, etc, qui pourraient fournir des professeurs, l’école serait d’ailleurs une ressource pour le poste, elle pourrait forger des outils pour l’agriculture, faire des meubles, charpentes de casernement. Cette question des écoles professionnelles est d’ailleurs à l’étude et vous recevrez sous peu des instructions plus détaillées à ce sujet. »
D’autre part quand parurent ces circulaires du 5 octobre et du 11 novembre 1896 l’enseignement officiel n’existait pas l’obligation fut imposée aux écoles privées de diriger leur enseignement dans un sens résolument français et il était déclaré nécessaire de faire appliquer dans toutes les écoles de tous les degrés un programme établi par le gouvernement de la Colonie. Ainsi, l’administration de la colonie considérait déjà comme une de ses prérogatives de pouvoir orienter l’enseignement des indigènes, et, étant seules organisées à Madagascar, les écoles privées se trouvaient obligées de donner l’enseignement que désirait la colonie. Elles n’étaient donc pas seulement, comme toute entreprise privée, protégées, mais encore dirigées par l’administration.
Par l’arrêté du 2 février 1897, et en même temps qu’il créait l’enseignement officiel, le Gouvernement de la Colonie donna à l’enseignement privé un premier statut. Mais ces circulaires du 5 octobre et du 11 octobre 1896 et même l’arrêté du 2 février 1897 sont bien incomplets, ils sont intéressants parce qu’ils marquent une tendance, posent des principes, mais ils n’indiquent que d’une manière très imparfaite les moyens d’exécution.
L’arrêté du 16 avril 1899 donna à l’enseignement officiel une organisation qui subsiste encore en partie, et conséquemment détermina les conditions de la collaboration des missions avec la Colonie. Le temps n’est plus où l’enseignement officiel était organisé sur le modèle de l’enseignement privé ; ce son les écoles privées qui vont maintenant s’organiser conformément aux prescriptions officielles.
L’enseignement officiel comprenait trois degrés :
Les écoles primaires qui constituaient en quelque sorte le rez-de-chaussée de l’édifice, les écoles régionales d’apprentissage industriel et agricole qui en étaient le premier étage, enfin les écoles supérieures qui étaient 1) l’école normale le Myre de Vilers, et les écoles analogues, 2) L’école professionnelle de Tanarive 3) L’école d’agriculture ; la première seule relevant du service de l’enseignement.
Le programme des écoles primaires comprenait outre les matières d’enseignement général – français, malgache, calcul, géographie et histoire de Madagascar dans ses relations avec la France, des notions de dessin en vue de ses applications aux travaux manuels, des leçons de choses appliquées à l’agriculture, les travaux à l’aiguille pour les filles et même dans certains cas, le travail manuel pour les garçons. Chaque école devait avoir un jardin ; et les instituteurs indigènes devaient posséder le certificat d’aptitude à l’enseignement dans les écoles de Madagascar, délivré après examen dans les conditions déterminées par l’arrêté. Dans ces écoles, à la tête desquelles aucune disposition ne défendait de placer un instituteur européen, la moitié du temps devait être consacrée à l’enseignement général, et l’autre moitié aux travaux pratiques, dessin, couture ou agriculture.
Les écoles régionales d’apprentissage industriel et agricole avaient pour but, comme leur nom l’indique, de former des ouvriers pour l’agriculture ou l’industrie. La circulaire qui précède l’arrêté prévoyaient que ces établissements seraient « les plus importants établissements scolaires de Madagascar » et elle ajoutait : « Bien qu’organisées toutes sur le même modèle chacune d’elles aura cependant sa physionomie distincte qui dépendra de la région dans laquelle elle se trouvera. C’est au directeur de l’école et aux administrateurs qu’il appartiendra de déterminer le caractère de l’enseignement qui y sera donné, de l’adapter aux besoins particuliers de la région. Les anciennes industries locales trouveront, dans ces écoles, une vie nouvelle. Enfin, les colons, agriculteurs et industriels trouveront à portée de leurs entreprises la main d’œuvre experte dont ils auront besoin. » En principe, il devait y avoir une école régionale par province ; le directeur, instituteur pourvu du certificat d’aptitude à l’enseignement du travail manuel, devait être assisté de deux contremaîtres, l’un pour la section industrielle, l’autre pour la section agricole. Les ouvriers indigènes de la région devaient faire leurs prestations à l’école en qualité d’auxiliaires.
A côté de chaque école régionale de garçons, il devait y avoir une école professionnelle de couture.
L’organisation et surtout le programme de l’école Le Myre de Vilers étaient légèrement modifiés ; l’école avait toujours pour but de préparer des fonctionnaires pour l’administration : instituteurs, écrivains, interprètes ; elle devenait cependant l’école normale de l’enseignement officiel en Imerina.
Dans le but d’encourager l’enseignement pratique, les élèves des écoles régionales et des écoles supérieures étaient exemptés des prestations et du service militaire, ainsi que les instituteurs officiels.
Telle était, d’après l’arrêté du 15 avril 1899, l’organisation de l’enseignement officiel, tels étaient les moyens que se donnait à elle-même la colonie pour atteindre le but qu’elle s’était proposé.
Quant aux écoles privées, laïques ou religieuses, elles étaient appelées à prendre une part active à l’éducation des indigènes de la Colonie, dans le sens indiqué par l’administration. Elles n’étaient pas obligées à le faire, même si elles le faisaient, il leur était promis des subventions et leurs instituteurs et leurs élèves devaient bénéficier des mêmes avantages que les élèves et les instituteurs des écoles officielles.
Pour l’attribution des subventions, les écoles privées étaient divisées en plusieurs catégories :
Les deux premières catégories pouvaient être subventionnées ; la Colonie devait prendre à sa charge une part, plus ou moins grande selon les résultats obtenus du traitement des instituteurs brevetés qui y étaient en exercice : seuls les élèves des écoles de la 1ère catégorie étaient exemptés du service militaire, des prestations, les élèves des écoles de 2ème catégorie n’étaient exemptés que des prestations, ceux des écoles de 3ème catégorie dirigées par des européens pouvaient racheter leurs prestations à la moitié des tarifs en vigueur. Les écoles de filles, dans lesquelles la couture était enseignée pouvaient être subventionnées ainsi que les écoles d’agriculture.
Cette réglementation, beaucoup plus complète que celles qui l’avaient précédée manquait cependant de précision sur plusieurs points ; et après deux ans d’application, il parut nécessaire de modifier l’arrêté du 16 avril 1899. D’ailleurs, le régime des prestations avait été supprimé à compter du 1er janvier 1901 et il fallait substituer d’autres avantages au bénéfice de l’exemption des prestations dont jouissaient les élèves et les instituteurs des écoles officielles et privées.
L’arrêté du 25 mars 1901 modifia très peu l’organisation de l’enseignement officiel, qui ne cessa pas de comprendre trois degrés. Seulement l’école Le Myre de Vilers n’était plus la seule école supérieure relevant du service de l’enseignement, d’autres écoles normales avaient été créées, dont elle restait le type et qui étaient appelées à jouer dans le sud ou l’est le rôle qu’elle jouait en Imerina ; de plus, ces écoles normales pouvaient d’après l’article 15 être organisées de façon à tenir lieu d’écoles régionales.
Au lieu d’être exemptés des prestations les élèves des écoles régionales et des écoles supérieures âgeés de plus de 16 ans recevaient une allocation dont le taux variait avec celui de la taxe personnelle, laquelle n’était pas uniforme dans toute l’île.
Mais l’arrêté du 25 mars 1901 précisait les obligations réciproques, encore vagues dans l’arrêté du 16 avril 1899, de l’enseignement privé et de l’administration, la définition des différentes catégories d’écoles, notamment la première, était plus nette et ne laissait plus de place à aucune équivoque.
La 1ère catégorie ne comprenait plus que les écoles organisées de façon à pouvoir enseigner le programme des écoles régionales d’apprentissage industriel et agricole, les écoles primaires auxquelles des ateliers sont annexés n’en faisaient plus partie ; les écoles de 1ère catégorie des missions devaient donc être dirigées par des Européens.
La 2ème catégorie comprenait les écoles organisées comme le doivent être les écoles primaires ; elles pouvaient avoir un maitre indigène ou un maitre européen.
La 3ème catégorie continuait à ne comprendre que les écoles d’enseignement général.
Les subventions auxquelles pouvaient prétendre les écoles donnant des résultats satisfaisants dans l’application de leur programme respectif étaient également déterminées.
Après inspection, la colonie devait prendre à sa charge une part au moins égale à 150 francs du traitement des instituteurs brevetés en exercice dans les écoles de 1ère et de 2ème catégorie, une part au moins égale à 270 francs du traitement des contremaîtres en exercice dans les écoles de 1ère catégorie.
Des subventions pouvaient de plus être accordées pour l’installation matérielle des écoles.
Enfin, le montant de la subvention accordée pour chaque élève ayant obtenu dans des conditions satisfaisantes le diplôme de fin d’études d’apprentissage industriel que les missions étaient autorisées à délivrer était fixé à 200fr.
[…]
Au lendemain de l’annexion de Madagascar, l’un des premiers soucis de l’administration française fut d’y organiser l’enseignement. La monarchie hova avait bien tenté de donner une règlementation à l’enseignement et 36 articles de du code 1881 y étaient consacrés. Mais, en fait, les écoles relevaient des missions religieuses installées dans l’Ile et l’on peut dire « qu’avant l’occupation française les seuls établissements scolaires existants étaient des établissements religieux, que religion et instruction étaient confondues, que les mêmes édifices servaient au culte et à la classe, accueillaient élèves et catéchumènes, enfants et adultes, ce qui explique du reste les statistiques autrefois établies par les différentes missions et dont les chiffres ne laissent pas que d’être impressionnants. Ces statistiques ne sauraient éveiller de surprise que si l’on oublie que chaque école était l’église, chaque église école ; que les dénombrements faits englobaient forcément tous les jeunes malgaches qui, à un titre quelconque fréquentaient les lieux primordialement destinés à la célébration du culte. La distinction s’établira peu à peu entre l’église ou le temps et l’école ; mais à la date où les Français s’installèrent à Madagascar, nul ne s’en était encore avisé… Parmi ces établissements, il y a lieu d’ailleurs de distinguer entre les écoles de campagne don la plupart étaient dirigées par des instituteurs indigènes sans titres et les écoles élémentaires et supérieures des villes, placées sous le contrôle de maîtres européens ou indigènes souvent fort expérimentés. La valeur des écoles était donc naturellement très inégale ; mais partout l’enseignement était subordonné à l’instruction religieuse, l’école était avant tout la préparation du « fiangonana », c’est-à-dire de la communauté religieuse.
Les traditions de la France lui imposaient de donner aux enfants Malgaches de l’ensemble du pays, de la région côtière aussi bien que de la région centrale, la possibilité de s’instruire sans être obligés de s’attacher à une confession religieuse et cela, d’autant plus que nous nous trouvions en présence d’une population désireuse de s’élever et douée de réelles facultés d’adaptation. Dans ce domaine comme dans les autres, le Général Galliéni sut agir rapidement et sûrement ; les premières écoles officielles, parfois confiées aux militaires du corps d’occupation, furent créées de suite, des locaux furent construits, des maitres européens recrutés, des maîtres indigènes formés et, en 1904, le Gouvernement de la Colonie pouvait retirer toutes subventions aux écoles privées. En 1905, au départ du général 12 écoles européennes officielles et 351 écoles indigènes fonctionnaient, recevant respectivement 415 et 26 900 élèves. L’enseignement officiel était constitué et cela d’une manière si heureuse que les extensions successives qu’il a reçu ont pu prendre place dans ce cadre primitif, modifié seulement en vue de son adaptation aux institutions nouvelles et aux besoins nouveaux. Un rapide tableau de l’état actuel du service, précisé par quelques chiffres, montrera l’ampleur de l’œuvre accomplie.
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L’enseignement européen est donné dans 25 écoles primaires élémentaires et dans les deux lycées de Tananarive, le lycée Galliéni pour les jeunes gens, le Lycée Jules Ferry pour les jeunes filles, organisés par décret. Dans les écoles primaires, écoles à plusieurs classes dans les grandes villes, écoles à une seul classe dans les centres moins importants, 48 instituteurs et institutrices instruisent 1350 élèves. L
L’effectif des établissement secondaires, classes élémentaires comprises, atteint 559 élèves pour le lycée Galliéni et 472 pour le lycée Jules Ferry ; dans ces chiffres l’élément malgache est représenté respectivement par 176 et 153 élèves reçus dans les mêmes conditions que les élèves européens lorsque le chef de famille a été admis à l’exercice des droits de citoyen ou, lorsqu’ils sont de statut indigène, à la suite d’un examen d’aptitude auquel préparera dorénavant une section ouverte cette année à l’école Flacourt.
L’enseignement indigène comprend trois degrés.
Les écoles du premier degré, réparties sur tout le territoire de la Colonie, et mixtes, généralement, ont à leur programme les notions de l’enseignement élémentaire complétées par des travaux pratiques : agriculture pour les garçons, couture et enseignement ménager pour les filles ; la langue française occupe une large place dans les exercices scolaires. En outre, un certain nombre de chefs-lieux de district possèdent un atelier dans lequel les apprentis s’initient, sans spécialisation, aux travaux les plus courants du bois et du fer.
Au second et au troisième degré jeunes gens et jeunes filles reçoivent l’enseignement dans des établissements distincts. Ce sont : d’une part, les écoles régionales continuées par l’école Le Myre de Vilers et par les formations techniques d’apprentissage industriel, sections professionnelles spéciales, école industrielle ; d’autre part, les écoles ménagères avec leurs programmes propres ; l’une d’entre elles : cependant est pourvue d’une « section spéciale » dans laquelle sont suivis les programmes de la section d’enseignement général des écoles régionales puis des sections normale et médicale de l’école Le Myre de Vilers.
Les écoles régionales (trois années d’études) sont installées dans les centres administratifs, chacune correspondant, autant que possible, à un groupement ethnique. Ce sont à la fois des établissements d’enseignement général et des établissements professionnels ; la langue française est seule employée dans l’enseignement et leurs élèves, tous recrutés au concours, s’y préparent, suivant la section à laquelle ils appartiennent, soit à l’examen du certificat d’études du second degré qui est, en même temps, le concours d’admission à l’école Le Myre de Vilers, soit à la suite d’un premier apprentissage du travail du bois et du travail du fer, à l’entrée dans un établissement plus spécialisé, soit enfin à l’entrée dans une école du service de l’agriculture.
L’école Le Myre de Vilers dans quatre de ses sections, section normale, section administrative, section des PTT, section technique forme des fonctionnaires pour les diverses administrations : instituteurs, fonctionnaires de l’administration proprement dite et commis non spécialisés, commis des PTT, agents techniques du service des travaux publics, du service des mines et du service topographique. Une cinquième section, la section médicale conduit les élèves aux études médicales qu’ils poursuivront, après concours à l’école de médecine rattachée au service de l’enseignement au point de vue administratif exclusivement mais relevant au point de vue des études de la direction du service de santé – laquelle prépare des praticiens qui exerceront sous le contrôle des médecins inspecteurs de l’Assistance médicale indigène.
Les sections d’apprentissage industriel, les sections professionnelles spéciales et l’école industrielle correspondent à des formes différentes d’apprentissage. Dans les premières l’apprentissage s’accomplit à l’atelier de production même, tandis qu’il se poursuit, dans les sections professionnelles spéciales et à l’école industrielle, suivant une gradation méthodique dans des ateliers spécialement organisés, tout en se conformant cependant, autant qu’il est possible aux conditions de la production industrielle. Les sections professionnelles sont consacrées aux métiers régionaux tels que la charpenterie de marine ; l’école industrielle, avec son outillage moderne forme des ouvriers spécialisés et, au besoin, des chefs d’équipe et des contremaitres.
Dans les écoles régionales, à l’école Le Myre de Vilers et dans les formations techniques, l’internat est obligatoire. Ainsi l’influence des maîtres s’exerce avec le maximum d’efficacité ; cette mission éducative revêt une importance capitale dans les écoles régionales où les élèves, venant de quitter leur village, passent les années décisives de leur formation intellectuelle et morale et dans lesquelles il est possible, l’effectif des promotions n’étant pas très élevé, d’instituer un régime quasi-familial. Non seulement l’enseignement est gratuit, comme dans les écoles du premier degré, mais tous les élèves sont nourris et ceux qui se trouvent dans une situation nécessiteuse sont complètement entretenus de sorte que les degrés supérieurs de l’enseignement sont accessibles à tous les jeunes malgaches sans distinction de fortune.
Les jeunes filles malgaches ont à leur disposition, au-delà de l’enseignement du premier degré, les écoles ménagères. Elles s’y préparent par un enseignement adapté à la vie indigène à leur rôle futur de ménagères et de mères de familles ; si elles le désirent elles font également l’apprentissage d’un métier, pouvant s’exercer à domicile, qui leur permettra plus tard d’augmenter le budget familial : couture, dentelle, broderie, sparterie. Même sous cette forme, l’enseignement des écoles ménagères n’a pas eu, de suite, la faveur des populations côtières et c’est ce qui explique le petit nombre de ces établissements. Mais une évolution s’est produite et à présent plusieurs centres côtiers réclament la création d’une école ménagère. Sans doute faudra-t-il également, dans un avenir très proche envisager l’extension de la section spéciale annexée à l’école ménagère d’Avara-dRova où sont préparées des institutrices ainsi que les élèves pour l’école des sages-femmes et pour l’école de Médecine.
Les chiffres ci-après montreront quelle est l’étendue de l’œuvre réalisée.
L’enseignement officiel compte : 933 écoles du premier degré et 48 ateliers scolaires de district ; au second degré 15 écoles régionales, 38 sections professionnelles spéciales, 5 écoles ménagères ; au troisième degré, l’école Le Myre de Vilers, l’école industrielle de Tananarive, et 4 sections d’apprentissage industriel ; enfin une école d’un type particulier la seule école savante de l’enseignement officiel, l’école Flacourt, qui comprenait des classes ressortissant aux trois degrés et vient d’être réformée comme il a déjà été indiqué, afin qu’une liaison existât entre les écoles indigènes et l’enseignement européen. Ces divers établissements reçoivent un total de 124 939 élèves ou apprentis soit : premier degré 122 274, second degré 1899, troisième 766. Le nombre des filles est de 42578 dans les écoles du premier degré, 381 dans les écoles ménagères, 6 dans les classes du troisième d’Avara-dRova ; l’effectif des apprentis ressortissant à l’enseignement professionnel atteint 507 dans les ateliers du district, 643 dans la section industrielle et agricole des écoles régionales et 122 dans les sections professionnelles spéciales, 90 à l’école industrielle et 101 dans les sections d’apprentissage. Le personnel est composé au total de 44 unités européennes (1 professeur d’école normale de la métropole, 1 ingénieur, 1 chef de travaux, 4 contremaîtres, 37 instituteurs et institutrices) et 1784 unités indigènes (1182 instituteurs et 21 institutrices, 77 professeurs assistants ; 101 contremaîtres, 403 maitresses de couture).
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Si pour organiser l’enseignement des européens il n’y a eu à innover que dans le détail, il n’a pu en être de même à l’égard de l’enseignement des indigènes ; les brèves indications qui viennent d’être données suffisent pour montrer qu’en cette matière une œuvre entièrement originale a été créée. Quels en sont les principes ?
Démocratique par le régime des bourses et du concours pour le recrutement des établissements des degrés supérieurs, le système scolaire de la Grande Ile doit-il être rigoureusement centralisé ou bien convient-il qu’une part y soit faite au régionalisme ? Les faits parlent en faveur du régionalisme. L’individualité des tribus, qui demeurait entière au moment de la conquête française malgré la domination merina qui n’avait guère été que nominale, ne s’est pas effacée et les considérations qui conduisirent le Général Galliebi à pratique la politique de races, conseillent encore aujourd’hui de placer autant que possible, dans chaque région, des fonctionnaires qui en soient originaires. La création au cours des années qui suivirent la conquête de trois écoles administratives (Tananarive, Mahanoro, Analalava) et de quatre écoles ou sections normales (Tananarive, Mahanoro, Analalava, Fianarantsoa) répondait à cette préoccupation. Mais il apparut assez vite que la valeur de la préparation des fonctionnaires dans ces divers centres était inégale, nettement plus faible dans les écoles côtières où elle n’avait pour base qu’un enseignement du premier degré à peine ébauché. Après divers essais, prévalut l’organisation instituée par le règlement du 14 février 1916 laquelle dosait, suivant les données de l’expérience, le régionalisme et la centralisation, dans la mesure nécessaire pour unifier le niveau de la préparation des fonctionnaires : trois années d’études à l’école régionale, consacrées à l’instruction générale, une année à l’école Le Myre de Vilers consacrée à la formation professionnelle. L’unification indispensable était ainsi obtenue à la fois par l’année de travail commun et par l’action régularisatrice des examens d’entrée sur les études dans les écoles régionales ; mais ce bref séjour à Tananarive faisant suite à une longue scolarité accomplie par chaque élève dans son village ou dans un chef-lieu peu éloigné, ne rompait pas le contact avec son milieu d’origine.
Par la suite se fit sentir le besoin de renforcer la préparation des fonctionnaires indigènes dont la tâche devenait de plus en plus complexe et qu’en outre l’administration se proposait pour des raisons évidentes d’économie, d’utiliser plus largement. L’année supplémentaire d’études devait-elle s’accomplir dans les écoles régionales ou à Tananarive ? Des raisons d’ordre éducatif militaient en faveur de la première solution des raisons d’ordre budgétaire en faveur de la seconde. Ce fut cette dernière qui l’emporta. L’arrêté du 17 janvier 1929 n’apporte au régime des écoles régionales que des modifications secondaires, mais porte à deux années la durée de la scolarité à Tananarive. L’école « Le Myre de Vilers » avec un effectif de plus de 400 élèves devient très lourde ; malgré tout le dévouement dont fait preuve le directeur il ne peut y instituer le régime presque familial qui caractère les écoles régionales et favorise l’influence des maîtres sur les élèves ; il ne peut guère prétendre à plus que d’obtenir un travail régulier, la discipline, l’ordre extérieur ; et cette situation est particulièrement regrettable à Tananarive où nos élèves sont exposés à des propagandes, à des entraînements contre lesquels la vigilance la plus scrupuleuse peut se trouver désarmée et dont le danger est augmenté par la durée des études qui fait qu’une promotion « d’anciens » est toujours présente. Le retour à un régionalisme plus accusé ne peut être qu’une mesure excellente, au point de vue éducatif et au point de vue politique. Un projet de refonte de l’arrêté du 17 janvier 1929 que prépare la direction de l’enseignement sur les instructions du gouverneur général comprend des dispositions en ce sens : la scolarité à Tananarive est ramenée à un an, mais une quatrième année est ajoutée aux écoles régionales ; le projet est conçu de manière que le niveau des études générales et celui de la préparation professionnelle soient intégralement maintenus.
La question capitale de la langue véhicule et de la place à faire au français dans l’enseignement se rattache à des considérations analogues à celles qui conduisent à donner un caractère régional nettement accusé à l’organisation des écoles malgaches.
Au second et au troisième degré, l’enseignement a été donné en langue française dès les premières années de l’occupation. Cette règle se justifie d’elle-même dans les établissements qui préparent des fonctionnaires et des auxiliaires pour la colonisation française. Mais au premier degré les connaissances seront-elles communiquées en malgache ou en français ? Tout d’abord, quel est le sens de l’expression « langue malgache ». Certes, il existe une très étroite parenté entre les dialectes employés dans les diverses régions de la Grande Ile. Mais ils présentent aussi de notables différences si bien qu’il arrive aux maîtres originaires des Hauts-Plateaux envoyés à la côte, de ne pouvoir vraiment comprendre les habitants ni s’en faire comprendre qu’après une adaptation de plusieurs semaines et parfois même de plusieurs mois. Quand on parle de « langue malgache » on parle en réalité du dialecte merina, le plus évolué de tous, le seul qui soit imprimé et pour lequel aient été établis des manuels de grammaire, mais qui néanmoins n’a pas de passé littéraire et en raison de son manque de précision, de sa difficulté à exprimer les idées générales, de l’absence de tout vocabulaire scientifique, ne pourrait devenir l’instrument adéquat à l’évolution que détermine le contact de plus en plus étroit de la population malgache avec la civilisation européenne, qu’en faisant de si larges emprunts au vocabulaire français et en se transformant d’une manière si profonde, qu’il deviendrait méconnaissable. Puisqu’il était matériellement impossible et d’ailleurs peu souhaitable d’imprimer des manuels dans les divers dialectes, la question s’est posée de décider si le Gouvernement français devait, par ses écoles, travailler à réaliser l’unité de langue des tribus malgaches au bénéfice de la race Merina. Ne se serait-on pas ainsi préparé de graves difficultés, tout en enfermant la masse des Malgaches dans l’usage d’une langue limitée à Madagascar qui les aurait isolés intellectuellement et moralement ? En tout cas, on eût certainement rendu l’école impopulaire dans les régions côtières en en faisant l’instrument de la diffusion du dialecte merina, car la domination merina avait laissé de très mauvais souvenirs partout où elle avait pu s’exercer. Une réponse négative s’imposait. Ainsi s’explique l’attitude prise en 1907 à l’égard de la langue malgache dans les établissements officiels – après quelques années d’hésitation il est vrai – sanctionnée par le règlement du 14 février 1916 et sur laquelle est revenu l’arrêté du 17 janvier 1929. La langue n’était pas enseignée. Ceci ne signifie pas qu’elle ait jamais été proscrite. Une telle mesure eut été contraire à la tradition française ; les élèves des écoles ont toujours eu la possibilité de s’exprimer entre eux en langue indigène et si, fréquemment, ils préfèrent user de la langue française, c’est qu’ils y trouvent plus de commodité et aussi qu’ils tiennent à se familiariser avec son emploi. Mais seule la langue française, pendant cette période, faisait l’objet d’un enseignement en forme. Le dialecte local était nécessairement employé, au début de la scolarité comme véhicule de l’enseignement ; mais progressivement, au fur et à mesure des progrès des élèves, le maître s’efforçait d’y substituer, dans toute la mesure du possible, la langue française, étudiée dès le premier jour dans des exercices spéciaux, de sorte que dans la section la plus avancée des bonnes écoles du premier degré il était possible pratiquement de cesser tout emploi du malgache.
L’arrêté du 17 janvier 1929 modifie ces dispositions. Il prescrit que les « diverses matières du programme « des écoles du premier degré » à l’exception de la langue française sont enseignées en langue malgache » et organise à tous les degrés en enseignement systématique du malgache. N’est ce pas, pour n’envisager les conséquences de ce nouveau régime qu’au point de vue scolaire, la certitude d’un amoindrissement des études françaises ? Au premier degré, l’atmosphère des classes est modifiée, la dominante passe du français au malgache, et ce changement, implicitement contenu dans les programmes doit être fatalement aggravé par la tendance naturelle au moindre effort chez le maitre et les élèves. Au second et au troisième degré c’est un nouveau centre d’intérêt qui est constitué dans l’esprit des élèves et cela, inévitablement, au détriment du français.
Dès 1931, d’ailleurs, des instructions ont apporté un correctif, à la lettre des dispositions nouvelles. D’une part, il a été précisé qu’il fallait entendre par l’expression « langue malgache » en tant que langue véhicule de l’enseignement dans les écoles du premier degré, non le dialecte merina exclusivement, mais dans chaque école, le dialecte local. D’autre part, il a été prescrit aux maîtres de faire un usage aussi large que possible de langue française dans leurs explications. Ce retour par voie d’instructions à l’esprit de la règlementation de 1916 va être sanctionnée par des dispositions formelles inscrites dans le projet d’arrêté actuellement en préparation. La règle de 1916 relative à la langue véhiculaire dans les écoles du premier degré y est reprise. L’enseignement du malgache n’est pas supprimé mais réduit ; les notions de grammaires sont reportées à l’école régionale et, à l’école « Le Myre de Vilers », les seuls exercices prévus sont des exercices écrits et oraux de traduction qui constituent en même temps un appoint à l’étude du français. Le changement accompli sera matérialisé dans la présentation des programmes par le fait que la langue française y figurera immédiatement après la morale, au lieu d’y être précédée par la langue malgache.
Régionalisé dans la mesure correspondant à la structure sociale du pays, instrument de diffusion par la langue de la pensée française, quels buts l’enseignement doit-il se proposer à l’égard des indigènes considérés comme les usagers de l’école ? Ainsi est posée la question des programmes, dominée par la notion d’utilité dans une colonie où la faible densité moyenne de la population exige l’amélioration de la valeur productive des individus. D’ailleurs la notion d’utilité présente aux yeux des Malgaches une valeur primordiale et ils se méfieraient d’un enseignement dans lequel elle serait méconnue. Ce n’est pas à dire que dans les écoles, seules doivent compter les applications pratiques. Il n’est pas d’enseignement, si réduite qu’en soit la matière, qui ne puisse s’il est convenablement donné stimuler la pensée de l’élève contribuer au développement de sa personnalité. Les programmes seront donc, à tous les degrés, aussi simples que possible, toute notion non utilisable dans le milieu où l’élève est appelé à vivre en sera exclue ; mais les méthodes viseront à susciter l’activité intellectuelle à provoquer la réflexion, à former le jugement. Utilitaire par sa matière l’enseignement sera éducatif par ses méthodes. Cette double préoccupation s’est fait jour, dès le début, dans l’organisation scolaire de la Grande Ile. C’est d’elle que découle en premier lieu le caractère professionnel, de notre enseignement, le professionnel étant pris dans un sens large et exprimant non seulement la préparation à un métier manuel, mais d’une manière générale, la préparation à la vie pratique ; en second lieu, le recrutement limité par voie de concours des établissements des degrés supérieurs, de façon qu’il corresponde aussi exactement que possible aux besoins administratifs, sociaux et économiques du pays et que soient évités la perte d’énergie et le danger que représenterait la formation de déclassés. Quelques indications caractériseront les modalités d’application de ces principes.
Dans les écoles du premier degré est dispensé par des méthodes actives un enseignement élémentaire comprenant les notions dont nul Malgache ne peut se passer aujourd’hui sous peine d’être diminué en tant qu’individu et en tant que membre de la collectivité ; et puisque presque toutes nos écoles sont des écoles rurales dont les élèves, enfants de cultivateur, sont destinés pour la très grande majorité à ne pas quitter la terre, toutes, à l’exception de celles des villes, sont pourvues d’un terrain de culture, véritable domaine agricole composé en principe, d’un potager, d’un verger, d’un terrain de reboisement. Sur cinq heures et demie passées chaque jour à l’école une heure et demie est consacrée aux travaux agricoles. Chaque école devient ainsi un centre de propagande agricole pouvant être utilisé, et utilisé en fait, pour enseigner l’amélioration des façons culturales et de la préparation des produits, pour répandre les espèces nouvelles. L’existence de caisses agricoles dont les recettes sont la propriété de l’école excite l’activité des élèves, suscite les initiatives des maîtres et, par la présence de deux notables dans le comité de gestion, associe les familles à l’œuvre scolaire – Dans la section d’enseignement général des écoles régionales et plus tard à l’école Le Myre de Vilers, les travaux agricoles ne seront pas délaissés et seront même complétés par des travaux d’atelier afin que les futurs fonctionnaires, tout en recevant la préparation spécialisée qui correspond au service auquel ils se destinent, se débarrassent des préjugés contre les travaux manuels qui ont souvent cours dans la bourgeoisie malgache.
Quant aux écoles et aux sections spécialement professionnelles au sens habituel du mot, elles n’ont cessé d’être l’objet de la sollicitude de l’administration qui en adapté le fonctionnement, d’une manière de plus en plus exacte, aux besoins de la Colonie. En 1926 ont été organisés, à côté des sections industrielles des écoles régionales qui représentent le second degré de l’enseignement technique, et des formations du troisième degré, école industrielle et sections d’apprentissage, les ateliers scolaires de district qui préparent des ouvriers non spécialisés, destinés à exercer sur place, aptes aux travaux courants du bois et du fer. Deux arrêtés, du 5 février 1921 puis du 26 janvier 1930 ont systématisé l’organisation qu’avait reçue en fat l’enseignement professionnel, le second individualisant une modalité régionale des formations d’apprentissage, la section professionnelle spéciale à laquelle appartiennent les deux sections de charpenterie de marine de Vatomandry et de Maroantsetra ainsi que la section des travaux du bâtiment à Fianarantsoa. Parallèlement à ce travail de mise au point administrative et pédagogique, un effort a commencé pendant ces dernières années, pour moderniser l’outillage des formations du second et du troisième degré qui comprend à présent des machines-outils grâce auxquelles les possibilités d’exécution des ateliers sont augmentés, grâce auxquelles aussi les élèves, libérés, dans la mesure compatible avec les nécessités d’un apprentissage complet, du travail de préparation des matières premières, disposent de plus de temps pour les tâches qui exigent d’eux une habileté manuelle de plus en plus grande. Une large part de la dotation prévue aux fonds d’emprunt pour le Service de l’enseignement ira à l’enseignement technique, et permettra de continuer le rajeunissement de l’outillage, de raviser les locaux de réaliser les extensions et créations nécessaires – La prudence souhaitable sera apportée dans l’exécution de ce programme aussi bien pour ménager les finances de la Colonie que pour prévenir la formation de déclassés manuels, tout aussi dangereux que les autres déclassés. Le recrutement des établissements professionnels des second et troisième degrés est soumis à la règle générale de la limitation des effectifs ; il suffira donc, dans son application, de supputer aussi exactement que possible les besoins industriels et de veiller à ce que, tout au moins pendant la période actuelle, aucun apprenti ne soit trop étroitement spécialisé : l’école industrielle continuera à former, par exemple, des tourneurs, des fraiseurs, des mécaniciens automobilistes, des électriciens, mais ces spécialisations feront toujours suite à l’acquisition d’une habileté suffisante dans un métier offrant des débouchés plus aisés tels que ceux de forgeron-ajusteur, de menuisier, de charpentier.
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Tel est dans ses grandes lignes l’état présent de l’œuvre d’enseignement dans la Grande Ile. Son ampleur se mesure de suite au chiffre atteint par son budget : tout près de 23 millions en 1933, soit 8,2% des dépenses totales de la Colonie (budget local, assistance médicale indigène). La place qu’y occupe l’enseignement européen est importante et sera accrue suivant les besoins et les possibilités, mais c’est par l’enseignement indigène qu’elle revêt le caractère d’une réalisation entièrement originale, d’une véritable création. D’inspiration largement démocratique, l’organisation de l’enseignement indigène, à laquelle le Gouvernement de la Colonie a prêté, à toutes les époques, sa sollicitude agissante apparait dans l’ensemble comme le développement des principes posés au lendemain de l’annexion par le Général Galliéni : respect des caractéristiques régionales ; prééminence de la langue française, à la fois moyen de compréhension réciproque entre la métropole et la population malgache et facteur de l’union des divers éléments ethniques dans la grande communauté française ; nécessité d’assigner à l’école, à tous les degrés, des fins pratiques. C’est en demeurant fidèle à ces principes que l’enseignement officiel malgache trouvera toute sa force et toute son efficacité pour contribuer au cours des années à venir au progrès social et économique du pays.