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Au cours de l’année 1948, l’administration française en Algérie commence à discuter de la pertinence d’une fusion des enseignements primaires européens (A) et indigènes (B).
La suppression de l’enseignement indigène, et sa fusion avec l’enseignement européen est actée par un décret du 5 mars 1949.
Ces documents sont conservés aux Archives Nationales d’Outre-Mer à la cote 81 F 1720.
Objet – Problèmes relatifs à la fusion des deux enseignement primaires en Algérie
Ref. Votre dépêche n°2544 CC du 26 mars 1948
En réponse à la dépêche rappelée en référence, j’ai l’honneur de vous adresser mon avis et mes observations sur le problème de la fusion évoqué par la motion LECHANI.
Une remarque préalable s’impose tout d’abord. Le problème de la « fusion » entre l’enseignement des européens et celui des musulmans est posé depuis une vingtaine d’années, d’une manière quelque peu équivoque.
A en croire les auteurs des diverses motions qui ont été présentées tour à tour aux conseils généraux d’Algérie et à l’Assemblée financière, il y aurait actuellement en Algérie, d’une part, deux cadres d’enseignement et deux catégories d’écoles séparées par une cloison étanche ; et, d’autre part, il suffirait de mettre en vigueur un simplet décret pour réaliser « la fusion ».
Malgré les réserves et atténuations que comporte la proposition Lechani, cette impression subsiste après lecture.
La réalité est tout autre.
Pour avoir une perception plus exacte des problèmes divers et complexes qu’implique cette formule singulière « la fusion », il nécessaire de rappeler que l’enseignement primaire, en Algérie, a d’abord été unique, sinon dans le cadre des écoles, du moins dans les programmes et les méthodes pédagogiques, notamment dans la période de 1865 à 1883 ; que l’instauration d’un enseignement « spécial » pour les indigènes s’est effectuée d’une manière volontaire et méditée de 1883 à 1899, et que la dualité la plus accusée a régné effectivement de 1899 à 1920. Mais il ne faut pas omettre, compte tenu des divers problèmes qu’une analyse élémentaire révèlera, qu’une série de solutions leur ont déjà été apportées, autrement dit, que « la fusion » est en marche, en voie de réalisation progressive et que plusieurs étapes importantes ont été franchies dès 1920 ; enfin, que cette fusion ne doit pas être le simple retour en état de choses périmé.
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Éléments du problème –
Il fut décidé, en conséquence, par le texte organique du 13 février 1883, de créer des « écoles spéciales » pour les indigènes. Des programmes « spéciaux » sont mis à l’étude en 1889, ils entrent en application en 1890 et sont remaniés en 1898. Enfin, un certificat d’études « spéciales » pour les indigènes est institué le 18 mars 1899.
C’est donc à des considérations pédagogiques, et au souci de distribuer un enseignement plus large et plus efficace qu’est due l’adoption de la formule du dualisme et de la « spécialité », la seule que nos devanciers avaient considérés comme efficace à la fin du XIXème siècle.
Sur ce premier point, il importe de préciser que les écoles spéciales, appelées par la suite écoles de garçons ou de filles « indigènes », ont été dénommées en 1944, écoles de français-musulmans ; enfin, que depuis la rentrée d’octobre 1947, la distinction se réduit à la lettre B, la lettre A étant réservée aux écoles d’européens.
Il faut également signaler, en outre, qu’à tous moments, les écoles dites d’européens ont toujours été ouvertes dans la mesure des places disponibles aux enfants musulmans. Ceux-ci formaient 11% de l’effectif en 1926, 18% e, 1936, 25,5% en 1946. Aux dernières statistiques (5 novembre 1947) on comptait sur 165 948 élèves reçus dans les écoles de la section A : 43 681 musulmans, soit 26,2% de l’effectif des écoles d’européens.
D’autre part, les écoles de la section B admettent de leur côté des élèves européens : 4 296 européens sur 136 184 élèves au 5 novembre 1947.
Enfin, le certificat d’études spécial a été supprimé en 1942 et il n’existe plus désormais, en Algérie comme dans les départements de la métropole, qu’un unique « certificat d’études primaires élémentaires ».
Cette unification dans l’examen couronnant les études correspondait, du reste, à une unification dans les programmes déjà réalisée à partir du cours moyen. Un projet est actuellement à l’étude tendant à instaurer l’unité des programmes à partir du cours élémentaire, la possession de la langue française pouvant être considérée comme suffisamment assurée dès la fin du cours préparatoire.
Enfin, le décret du 20 octobre 1891 adjoignait à l’école de Bouzaréa une « section spéciale » réservée aux instituteurs européens, d’origine métropolitaine pour la plupart, qui se destinaient à l’enseignement des musulmans.
A ce moment, la dualité de formation des maîtres est véritablement accusée d’une façon très nette. Jusqu’à la guerre de 1914, élèves-maîtres, élèves du cours normal et « sectionnaires » ont un régime différent d’études, des dortoirs et réfectoires distincts ; ils s’isolent les uns des autres et s’ignorent.
L’arrêté du 10 janvier 1920 a préparé la fin de cet état de choses. A partir de ce moment, le recrutement se fait dans deux écoles normales semblables, dont le cloisonnement n’est plus du reste que virtuel, puisque non seulement le concours est unique ainsi que le programme des études, mais que les élèves-maîtres sont soumis constamment au même régime d’internat.
En 1924, les dernières élèves « du cours normal » quittent Bouzaréa, et les normaliens musulmans sans chéchia se distinguent difficilement des jeunes européens sans casquette et sans uniforme.
Parmi les bureaux de l’Académie traitant les affaires de l’enseignement primaire, jusqu’au début de mars 1948, plusieurs se consacraient uniquement à l’enseignement des européens d’autres spécialement à l’enseignement des musulmans, qu’il s’agisse du personnel, des constructions scolaires ou des écoles normales.
Enfin, au budget de l’Algérie, les prévisions de dépenses concernant les traitements du personnel, les constructions scolaires, le matériel, la formation des maîtres affectent des chapitres distincts suivant qu’il s’agit de l’enseignement A ou de l’enseignement B.
Un des décrets du 27 novembre 1944 a supprimé le poste d’Inspecteur général de l’Enseignement des Indigènes et y a substitué un poste de Vice-Recteur chargé du plan de scolarisation totale de la « jeunesse algérienne ».
Les services du Rectorat viennent d’être réorganisés selon ce principe, certains bureaux s’occupant spécialement du second degré, ou de l’enseignement technique, et ceux qui se rattachent au 2ème Vice-Rectorat traitant d’une façon homogène et selon les mêmes méthodes toutes les affaires de l’Enseignement primaire (sections A et B).
Enfin, la fusion des cadres des inspecteurs primaires, ainsi que le remaniement des circonscriptions qui en est résulté ont eu quelques répercussions financières qui ont entrainé la « fusion » de 2 chapitres du budget. Celui-ci ayant été voté par l’Assemblée financière et approuvé par l’autorité supérieure, M. le Ministre de l’Éducation nationale, par décision du début de février 1948, a définitivement consacré cette unification.
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Problèmes résiduels.
Fusion budgétaire des deux personnels. Le personnel de la section B perçoit, au titre d’enseignement des musulmans, une indemnité spéciale de 3000 francs par an. Il peut paraitre d’envisager soit sa suppression, au fur et à mesure de l’admission à la retraite des maîtres qui la perçoivent, ou d’envisager son extension à tous. Une autre solution, plus rationnelle, à mon sens, consisterait à la remplacer par des indemnités de « bled » – accordées à tous les maîtres ruraux sans distinction, destinées à encourager les maîtres à demeurer dans des postes isolés, où la continuité de leur action peut être des plus utiles.
Problème des mutations. De nombreux maîtres sollicitent, et obtiennent quand leur demande est valablement motivée, l’autorisation de passer de la section A dans la section B et inversement. La cloison, là encore, n’est pas imperméable. Mais il n’en reste pas moins vrai que dans le régime actuel existent deux systèmes de mutations.
Le cadre A, alimenté par un recrutement départemental, est l’objet d’un « mouvement » départemental. Le passage d’un département à l’autre est exceptionnel ; il est réduit, comme dans la Métropole, à des permutations, ou à des admissions de candidatures au titre de la loi Roustan.
Le cadre B, en majeure partie alimenté par le recrutement métropolitain, est l’objet d’un mouvement interdépartemental.
En une phrase d’une seule ligne, on peut évidemment décider logiquement que, désormais, le recrutement sera uniquement départemental. Dans cette hypothèse, les maîtres d’Algérie seraient formés dans chacune des écoles normales respectives d’Alger, Oran et Constantine. Les maîtres venant de la Métropole, bien que groupés encore pour l’instant à l’unique section d’adaptation de [illisible], y seraient admis au titrement du recrutement d’Alger, d’Oran ou de Constantine.
Toutefois, il ne faut pas omettre la force des situations acquises. De même qu’il apparait difficile, et inopportun de « supprimer purement et simplement » l’indemnité de la section B, il apparait également malaisé d’imposer, une fois pour toutes, aux maitres de la section B actuellement en fonction de rester définitivement dans le département d’Oran ou de Constantine et de renoncer au « privilège » qui leur était officiellement reconnu jusqu’ici des mutations interdépartementales.
Toutefois, un régime de transition, pour les maitres déjà en exercice, pourrait être mis à l’étude de la réunion du prochain comité consultatif, bien que la coexistence d’intérêts divergents rendent ardue la mise en équation d’une motion de synthèse.
Plus aisément, le recrutement « départemental » de la section d’adaptation peut être prévu pour octobre 1948.
Différence d’appellation – La distinction des écoles par les lettres A et B n’est pas, en règle générale, absolument nécessaire. Mais il faut cependant penser à la nécessité d’organiser différemment le début des études – qu’il s’agisse ou non de musulmans – selon que les enfants savent déjà parler suffisamment, ou ignorent le français.
La filière normale, pour les enfants parlant français (parmi lesquels de nombreux musulmans des villes) comporte les étapes suivantes :
I/ École maternelle ou classe enfantine ; 2/ Cours préparatoires A ; 3/ Cours élémentaire et classes suivantes.
Pour les enfants ne parlant pas le français (qu’ils soient musulmans ou non) :
I/ Classe d’initiation 2/ Cours préparatoire B 3/ Cours élémentaire et classes suivantes.
La différence essentielle qui caractérise l’école du type B réside dans la présence d’une classe d’initiation et, en outre, dans l’organisation un peu différente du cours préparatoire où les leçons de langage sont plus nombreuses, quotidiennes au lieu d’être espacées.
La fusion totale des programmes d’enseignement général peut donc se faire au niveau du cours élémentaire.
Quant aux méthodes, dites « spéciales », « méthodes directes, actives, vivantes, dont l’efficacité a été reconnue », elles n’ont, à l’heure actuelle plus rien de « spécifique ».
Mises en vedette dès 1923 dans les programmes de l’enseignement primaires et les instructions ministérielles de la même année, les méthodes actives ont acquis depuis peu un regain d’actualité.
Si elles sont vivantes, si elles sont efficaces – et c’est l’avis général de tous les praticiens de l’éducation, on ne voit pas pourquoi les élèves dits « européens » n’en bénéficieraient pas !
En fait, il faut bien le préciser, les méthodes et l’esprit pédagogiques sont comparables d’un enseignement à l’autre. Seules quelques différences individuelles dans le degré d’initiative des maîtres, dans leur activité ou leur dévouement professionnel sont susceptibles d’y apporter quelques variations, tantôt au bénéfice de l’enseignement A, tantôt au bénéfice de l’enseignement B.
Comme suite à mon télégramme 00327 du 20 mars, j’ai l’honneur de vous confirmer l’avis déjà donné en réponse à votre lettre citée en référence.
D’après l’article 10 du Statut de l’Algérie, les lois et décrets relatifs aux services dits rattachés sont applicables de plein droit, sauf dispositions contraires. Le régime applicable en Algérie aux établissements de l’Education Nationale est donc en principe celui des établissements similaires français, modifié par les décrets actuellement en vigueur. C’est notamment le cas du décret de 1892 qui régit l’enseignement primaire indigène appelé enseignement B.
Il suffirait donc en principe d’un texte extrêmement bref de décret pris en Conseil des ministres, pour abroger le décret du 18 octobre 1892 et faire rentrer dans le droit commun l’enseignement primaire applicable en Algérie. Toutefois, une discussion détaillée de la situation avec M. le recteur de l’Académie d’Alger a fait ressortir les objections opposées par ce dernier, au nom du maintien des situations acquises.
J’ai donc demandé à M. le recteur de soumettre lui-même un projet de décret supprimant l’enseignement spécial dit enseignement B. Je préfère vous adresser son texte intégralement et sans modification parce qu’il représente l’accord de l’autorité académique en Algérie. Il y a cependant lieu de souhaiter qu’il soit complété sur deux points :
Par lettre du 26 mai 1948, vous avez bien voulu m’adresser un projet de décret ayant pour objet de supprimer, en principe, l’enseignement primaire spécial destiné aux Français musulmans d’Algérie.
Mes services, profitant du passage à Paris du chef de votre cabinet, Loubet, se sont entretenus avec lui de ce problème et ont convenu, avec son accord, de vous faire part des remarques suivantes :
J’observe, tout d’abord qu’entre le texte accepté par le recteur de l’académie d’Alger et celui que vous souhaiteriez voir adopté, il existe des différences qui traduisent des appréciations divergentes sur la portée de la réforme et sur les délais dans lesquels celle-ci sera réalisée.
En second lieu, il ne paraît pas partisan de l’opportunité de fixer au 1er octobre 1948 la première étape de la fusion des deux enseignements primaires européens et musulman.
Or, si une décision n’était pas prise sur ces deux points dans le sens de vos suggestions, je craindrais que le décret qui se propose la fusion des deux enseignements ne soit, en fait privé, de portée pratique et que les musulmans ne tardent pas à nous reprocher, une fois de plus, de poser des principes sans tenir les promesses que ceux-ci contiennent.
Sans doute, les réticences de M. le Recteur de l’Académie d’Alger doivent elles être inspirés par des objections solides et je ne méconnais pas qu’une réforme du genre de celle qui est proposée ne soulève des difficultés dues à l’état social actuel des populations rurales et à la nécessité de ménager des transitions.
Pour ces raisons, j’attacherais du prix à ce que ces considérations fussent développées dans un rapport substantiel et technique susceptible d’être soumis à M. le ministre de l’Éducation Nationale au moment où son contreseing sera sollicité.
Il va sans dire que cette réforme de l’enseignement primaire d’Algérie doit être également envisagé sous l’angle pédagogique. La fusion immédiate de l’enseignement européen et musulman aura pour conséquence d’appliquer à toutes les écoles primaires d’Algérie les programmes qui sont en vigueur en France métropolitaine ; il conviendra donc d’examiner si ces programmes répondent aux besoins de la population musulmane et aux objectifs que peut s’assigner une politique de l’enseignement en Algérie.
En conclusion, il m’apparait nécessaire que le gouvernement, avant de prendre le décret de principe, soit parfaitement informé des conditions dans lesquelles il sera possible de l’appliquer et de la nature exacte des difficultés auxquelles fait allusion l’article final du projet en prévoyant un plan sauvegardant « la situation acquise et ménageant les progressions nécessaires dans l’unification des programmes des écoles et du personnel. »
Par lettre citée en référence, vous avez bien voulu me faire part de vos remarques sur le projet de décret que je vous avais adressé le 26 mai 1948, en accord avec l’autorité académique et me demander un rapport circonstancié sur la question.
Les deux additifs que j’avais jugé indispensable aux articles 1 et 3 du texte de M. le Recteur d’Alger semblent avoir particulièrement retenu votre attention. Vous avez estimé sans doute comme moi que la réforme envisagée serait en fait privée de portée pratique sans ces additifs. On ne saurait, en effet, parler de « fusion », si l’on ne posait d’une manière formelle le principe de l’abolition de toute discrimination raciale dans la scolarisation des élèves comme dans le recrutement du personnel enseignant.
Par ailleurs, une décision de cette importance n’aurait son plein retentissement que dans la mesure où une date était fixée comme point de départ de son exécution.
Ainsi que vous le constaterez à la lecture des deux dernières pièces ci-jointes, l’accord sur ces deux points est complet entre M. le Recteur d’Alger et moi-même et c’est une simple « erreur de frappe » qui avait fait substituer dans son texte initial le mot « maîtres » au mot « élèves ». Sans doute, M. le Recteur m’avait-il tout d’abord présenté quelques objections dont vous voudrez bien trouver ci-joint le rapport en copie, mais, sans être négligeables, ces objections ne constituaient pas à nos yeux des obstacles insurmontables.
Du point de vue administratif, toute latitude est laissée aux autorités académiques par l’article 3 du projet pour régler équitablement elles-mêmes, au moment notamment où il s’agira d’unifier les modalités du mouvement du personnel, toutes les questions qui se poseront sans léser aucun des intérêts en présence. A l’heure actuelle, le mouvement du personnel de l’enseignement A se fait dans le cadre départemental, tandis que celui de l’enseignement B se fait dans le cadre algérien. Je ne vois, pour ma part, aucun inconvénient à ce que l’une ou l’autre de ces deux formules soit retenue et appliquée à l’ensemble du personnel unifié.
Au surplus, M. le Recteur admet lui-même qu’il pense pouvoir résoudre ces difficultés.
D’autre part, le syndicat du personnel n’aurait pas réclamé la fusion si celle-ci devait porter atteinte à ses intérêts.
Du point de vue pédagogique, j’estime que, sans être d’aucun inconvénient pour les élèves européens, la fusion n’apportera que des avantages aux élèves musulmans, à condition bien entendu de maintenir le fonctionnement de la classe d’initiation au français là où elle est indispensable. Le contact quotidien ne peut que renforcer l’apprentissage de la langue française.
De plus, l’expérience a surabondamment établi, et personne ne le conteste, que la formation que reçoivent les élèves musulmans dans les écoles mixtes du type A est nettement supérieure à tous égards à celle qu’ils reçoivent dans celle du type B. Les résultats aux différents examens le prouvent. Telle école de village de trois classes du Type A, recevant à titre exceptionnel un contingent réduit d’élèves indigènes, compte numériquement, et d’une manière régulière, plus d’accès au CEP que n’importe quelle école à 12 classes du type B.
C’est d’ailleurs pourquoi ces dernières écoles sont de plus en plus désertées par tous les enfants musulmans dont les parents sont avertis de cet état de choses.
Du point de vue politique non plus, les difficultés ne nous paraissent pas aussi graves qu’on pourrait le laisser entendre. Sans doute, les familles européennes n’approuveront-elles pas cette réforme à l’unanimité, mais je ne pense pas qu’elles élèveront de « véhémentes » protestations, surtout si des mesures étaient prises pour lever leurs craintes et dissiper tous les sujets de récrimination. Les considérations d’hygiène et de santé des enfants devront, bien entendu, retenir l’attention des autorités responsables qui n’auront qu’à appliquer strictement les règlements scolaires en vigueur, même si cela devait entrainer l’éviction de beaucoup d’élèves. L’engouement des musulmans est tel aujourd’hui pour l’instruction de leurs enfants qu’il y aurait là un moyen supplémentaire d’introduire chez eux ; s’il en était besoin, le souci de la propreté et de la prophylaxie, à ce prix, le contact devient avantageux pour tous, puisqu’il constitue un moyen d’interpénétration, de compréhension et d’harmonie. J’ajoute qu’il y a longtemps que les familles européennes se sont habituées à l’idée de savoir leurs enfants sur les mêmes bancs que de petits musulmans.
Reste la question délicate de l’insuffisance des locaux qui rend impossible pour le moment la scolarisation de tous les enfants, sans distinction de race. Là où le nombre d’enfants à scolariser est notablement supérieure au nombre de places disponibles, qui laissera-t-on dehors ? Ici, encore, le texte de M. le recteur d’Alger est suffisamment souple puisqu’il laisse aux autorités toute latitude pour fixer par arrêté les diverses étapes de la fusion « suivant un plan… ménageant la progression nécessaire » et évitant tous dommages à l’élément européen.
Il y a un quart de siècle que les esprits clairvoyants de ce pays et les élèvements éclairés de la population musulman appellent cette réforme au même titre que toutes celles qui visent à étendre le droit commun à l’ensemble des habitant de l’Algérie (cf. Journal officiel de l’Algérie du 18 décembre 1945, supplément spécial, débats de l’Assemblée financière).
On peut dire qu’en toute matière, la phobie du régime spécial, atteint maintenant chez les musulmans son maximum d’acuité. En matière d’enseignement primaire, on ne saurait les empêcher de comparer le traitement qui leur est réservé à celui dont bénéfice le reste de la population composée d’éléments très divers. Il ne faut pas perdre de vue que les écoles du type A reçoivent, non seulement des français d’origine, mais aussi des fils de méditerranées pour qui la langue française est souvent étrangère et des juifs étaient, eux, il n’y a pas encore longtemps, arabophones. L’école du type […] n’a pas manqué d’opérer le brassage de ces éléments et d’en faire de bons moyens de même formation. Les musulmans ne comprennent pas pourquoi seuls leurs restent parqués à part.
Le projet de décret que j’ai l’honneur de soumettre à votre examen pose avant tout un principe dont les modalités d’application restent à préciser, […] qui, d’ores et déjà, parait applicable dans une large mesure puisqu’il ne constitue en réalité que l’ultime étape d’une lente évolution de notre politique scolaire en Algérie.
En effet, l’œuvre d’unification des deux enseignements dits Européen et indigène, puis européen et musulman, puis A et B n’a fait que progresser grâce à l’initiative des chefs de l’Académie d’Alger qui avaient pris sur eux d’adapter l’organisation scolaire à l’évolution des esprits. C’est ainsi que, successivement, furent supprimées les écoles normales spéciales, les examens spéciaux le recrutement des instituteurs indigènes, le certificat d’études primaires indigènes, l’Inspection générale de l’enseignement des indigènes, les Inspecteurs primaires de l’enseignement des indigènes ; c’est ainsi également, que les programmes ont été unifiés à partir du cours moyen ; c’est ainsi, enfin, qu’un projet est à l’étude, tendant à les unifier à partir du cours élémentaire.
Dans ces conditions, je ne peux que maintenir mes dernières propositions visant à prendre en considération le texte de M. le recteur de l’Académie d’Alger assorti des deux additifs que j’avais jugés nécessaires pour lui donner une portée pratique et sur lesquels nous sommes entièrement d’accord.
J’estime, en effet, que le moment est venu de franchir la dernière étape, la plus importante de cette évolution.
Le Gouvernement de la République prouvera que cet acte qu’il ne recule pas devant les dernières récompenses que postulent les principes d’égalité et de justice qui forment la base de notre politique en Algérie.
Je viens de faire étudier par mes services le projet de fusion en Algérie des enseignements A et B et j’ai repris ensuite cette étude moi-même.
Le projet de décret que vous m’avez envoyé constitue évidemment l’ultime étape d’une lente évolution de la politique scolaire en Algérie. Il s’appuie sur un principe d’égalité que nul ne saurait contester. Il appelle, toutefois, dans son application éventuelle, certaines réserves : il est certain qu’une telle mesure ne sera pas toujours accueillie favorablement par la population européenne et ne manquera pas de soulever des difficultés d’ordre administratif, pédagogique et politique. Ces difficultés, qui avaient été signalées par M. le Recteur d’Alger dans un remarquable rapport, n’ont pas échappé aux auteurs du projet. Il est à remarquer, en effet, que l’article 3 du dit projet de décret permet de régler progressivement et par étapes la fusion définitive des enseignements A et B. C’est l’aménagement de ces étapes et la détermination des délais d’application qui doivent, à mon avis, retenir éventuellement l’attention. Le décret peut, tel quel, être immédiatement appliqué dans certaines régions particulièrement dans les villes. Il appelle, par contre, dans son application aux Écoles de petites agglomérations, des tempéraments et une adaptation à défaut desquels on risquerait de provoquer des réactions regrettables, et du point de vue purement scolaire, la création d’Écoles libres réservées aux enfants européens.
Les renseignements que j’ai recueillis sur la question me permettent de penser que le résultat politique recherché pourra être atteint par l’adoption du dit décret dont j’approuve les termes, et par son application immédiate dans les seules régions où elle ne risque pas de soulever des difficultés. L’exemple de fusions heureusement accomplies permettra ainsi d’étendre progressivement, et je crois assez rapidement, la mesure à l’ensemble de l’Algérie.