Notice

Cette note fait un point global sur la politique scolaire au Tchad en 1951. Elle présente l’intérêt du collège franco-arabe mais dépasse ce cadre en s’intéressant à l’enseignement primaire.

Elle est conservé aux Archives Nationales d’Outre-Mer à la cote GG AEF 5D 269.

Note de principe du 6 décembre 1951 au sujet de l’orientation de la politique scolaire dans les régions islamisées du Tchad, GG AEF 5D 269

I/- Situation actuelle :

Depuis 20 ans, des écoles primaires françaises ont été créées dans les régions islamisées du Tchad : on ne saurait dire que cet essai de scolarisation a été couronné de succès. Pour une population de 500 000 habitants la région du Ouaddaï ne compte que 14 classes ; la proportion est sensiblement la même dans le Kanem ou le Batha, et ces chiffres déjà bien maigres sont cependant trompeurs : car dans de nombreuses écoles, à Abéché notamment, l’effectif scolaire est pour moitié composé de non islamisés.

Pour expliquer cette situation, il ne convient pas de mettre en cause les instituteurs, les constructions ou le matériel insuffisants ; en fait notre enseignement basé sur l’étude du français et se rattachant à un enseignement de type métropolitain n’est pas accepté par des populations solidement attachées à leurs croyances, qui préfèrent envoyer leurs enfants à l’école coranique. La création du Maahad d’Oulech aussi bien que la présence de nombreux Tchadiens à El Azhar traduisent la même préférence pour un enseignement purement arabe et musulman et une quasi-hostilité pour l’école française.

Depuis longtemps déjà, de telles observations ont été faites et elles nous ont conduits à envisager la création d’un enseignement de type franco-arabe à Abéché. Il est toutefois incontestable que nous nous sommes laissés devancer et le succès même du Maahad fait que nous n’avons plus maintenant les mains libres pour instituer un enseignement de notre choix : Le collège du Ouaddaï – que nous espérons pouvoir substituer progressivement au Maahad – aura à son départ au moins, une orientation que nous ne pouvons désormais éviter : son recrutement va s’effectuer d’abord à Abéché même à peu près exclusivement, c’est-à-dire dans un milieu parlant déjà arabe ; et les programmes font, par nécessité, une place très large à l’arabe et aux études coraniques théoriques. Il est indispensable d’accepter franchement cette situation si l’on veut que le départ de l’établissement s’effectue avec le minimum de chances de succès ; mais il ne faut cependant pas dissimuler que nous prenons des risques sérieux en fabriquant délibérément une petite élite de demi-intellectuels « arabisés » dont l’activité échauffée par un fonctionnement en vase clos à Abéché, aura tendance à se répandre dans le pays.

De toute notre action scolaire passée, se dégage donc nettement l’impression que la masse de la population est résolument réfractaire à notre forme française d’enseignement ; et les circonstances nous obligent à créer un établissement d’enseignement franco-arabe qui, s’il persistait sous sa forme originale présenterait des dangers évidents. Il y a lieu d’examiner par quelles méthodes nous pouvons transformer cette situation.

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II/- Orientation de l’enseignement primaire :

Il convient d’abord d’enregistrer les leçons de notre expérience antérieure : il est inutile de vouloir implanter dans les régions islamisées du Tchad un enseignement primaire de type français analogue à celui que nous avons réussi à faire progresser en pays sara. Il faut admettre au contraire que l’enseignement primaire de ces régions sera d’un type spécial (1).

Notre but demeure assurément d’ouvrir à la culture moderne les populations islamisées ; et leur apprendre la langue française est la condition fondamentale de cette évolution. Mais ces populations, si elles ne parlent pas toute l’arabe, utilisent fréquemment l’arabe comme langue véhiculaire et fermement attachées à leurs croyances, tiennent à ce que leurs enfants étudient le Coran.

Dans ces conditions, il est indispensable de modifier notre enseignement du premier degré : il faut bien entendu maintenir l’étude du français ; mais pour la faire accepter, il faut élargir la part qui est faite à l’enseignement musulman. Dans l’application pratique, cette évolution de la structure de l’enseignement primaire pose deux catégories de problèmes :

1°/- Problèmes des programmes : à l’heure actuelle, les faquihs qui exercent dans certaines écoles, n’ont d’autre guide que leur inspiration personnelle. Il parait utile de prévoir un horaire et un programme d’enseignement arabe (cf. texte ci-joint) qui viendra s’insérer dans le programme habituel des écoles primaires, légèrement réduit quant au français afin de ne pas alourdir l’horaire.

2°/- Problème des maîtres : c’est le problème du choix et de la qualification des faquihs. En ce qui concerne le choix bon nombre des désignations actuelles doivent être assurément révisées : c’est un travail purement local qui incombera aux chefs de région et de district, aidés par le bureau des A.M. Le principe qui doit nous guider est simple : il faut que le faquih apporte une caution morale indiscutée à l’école. Le problème de la qualification est plus délicat, car la valeur des faquihs est en général très faible. On peut cependant améliorer leur enseignement et leur donner un certain esprit pédagogique : durant les vacances scolaires, un certain nombre de faquihs peuvent être réunis à Abéché et un stage de perfectionnement pédagogique sera instauré sous la direction de M. de Miras.

Il ne doit naturellement pas échapper que le problème est non seulement un problème d’institutions mais un problème psychologique : on ne pourra faire accepter l’école que par une politique d’égards envers les coutumes musulmanes (les fêtes religieuses notamment) et par une coopération étroite avec les autorités traditionnelles locales qu’il faut essayer d’intéresser à la vie même de l’école. En appliquant une telle politique on peut espérer :

  1. Améliorer le recrutement et la fréquentation
  2. Amener le maximum d’enfants possibles au niveau du CE2. Il est sans intérêt de vouloir, ici plus qu’ailleurs, fabriquer des certifiés. L’essentiel serait pour le moment d’amener une partie importante de la population enfantine à parler français, à écrire et à compter.

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III/ – Orientation du collège du Ouaddaï

On a indiqué plus haut quelle orientation nous étions tenus de donner au Collège pour lui assurer un bon départ, mais aussi quels inconvénients présentaient les mesures transitoires de cette première période : il n’est pas souhaitable de voir le recrutement du Collège strictement limité à Abéché et il est par ailleurs très désirable de limiter les études théoriques sur le Coran.

La transformation progressive de l’établissement est d’abord conditionner par le développement de l’enseignement du premier degré en milieu musulman : si nous parvenons à implanter solidement des écoles primaires, la masse des élèves de tous les districts islamisés qui seraient parvenus au niveau du CE2 formera la base de recrutement de l’établissement.

Le collège comprendra alors deux cycles :

1°/- un premier cycle de 2 années qui complètera les études primaires déjà faites par les élèves.

2°/ – un second cycle de 4 années de niveau proprement secondaire. Deux principes essentiels doivent nous guider pour l’établissement des horaires et des programmes :

  • Il faut, peu à peu, diminuer l’importance que nous sommes tenus d’accorder pour le moment à l’arabe (cela sera d’autant plus facile que le recrutement sera davantage étendu à des gens dont l’arabe n’est pas la langue maternelle).
  • Il faut orienter le second cycle du collège vers des résultats pratiques. Il faut créer dans les deux dernières années du second cycle des sections commerciales (pour les fils de commerçants islamisés) et administratives (pour les fils de chefs) afin de produire le minimum d’intellectuels sans emploi et le maximum d’élèves qui trouveront aisément l’utilisation concrète des connaissances acquises.

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Il convient de souligner que l’application de cette politique scolaire ne doit en aucun cas faire l’objet de mesures brutales et systématiques qui ne seraient pas comprises par les intéressés, donc iraient à l’encontre du but recherché ; la transformation des écoles primaires ne doit pas intervenir par la voie d’une décision générale de principe : il faut pour chaque école tenir compte du degré d’islamisation véritable de la région et des désirs exacts de la population ; des variantes locales peuvent donc intervenir et l’évolution vers une école franco-arabe doit être faite par étapes. Et c’est peu à peu également que nous pourrons faire passer le collège du stade des mesures transitoires actuelles au stade des programmes et horaires définitifs.

Il importait cependant, au moment où nous décidons d’ouvrir le collège du Ouaddaï, de dégager les grands traits de l’action que nous entreprenons et de fixer les buts à atteindre dans les années à venir : évolution vers un enseignement primaire de type spécial, adapté aux régions islamisées, création progressive d’un établissement franco-arabe.

Il ne faut nullement dissimuler que cette orientation de la politique scolaire comporte des risques sérieux : mais si l’on admet que la stagnation actuelle offre encore plus de dangers, aucune autre voie ne nous est désormais ouverte.