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Dans le cadre du déploiement de la politique scolaire au Tchad, le gouvernement général cherche à concurrencer l’enseignement musulman en déployant un collège franco-arabe.
Les documents présentés sont conservés aux Archives Nationales d’Outre-Mer à la cote GG AEF 5D 269.
J’ai l’honneur de vous rendre compte de ce que j’ai décidé de rattacher directement à mon Cabinet (Affaires Musulmanes) le collège franco-musulman « ou Medersa » d’Abécher, qui devait dépendre primitivement de la Chefferie de l’Enseignement du Territoire.
Il est apparu, en effet, au cours de la période préparatoire à l’ouverture de cette école, que le problème était beaucoup plus politique que scolaire.
Notre but d’avoir sur notre territoire un établissement d’enseignement franco-musulman, afin d’éviter que la jeunesse locale aille chercher à l’étranger un enseignement islamique qui fait défaut dans son pays. Nous voulons ainsi faire échec à l’enseignement du faqih OULLECH, sur lequel nous recueillons sans cesse des renseignements défavorables aussi bien pour ce qui concerne son action locale que pour ses relations avec les pays musulmans voisins.
J’avais projeté cependant de le prendre comme sous-directeur du collège pendant un certain temps, afin de bénéficier de sa clientèle et de pouvoir facilement fermer son école.
Or une certaine tension s’est produite récemment à Abécher entre Ouaddaïens et Djellabas. Les premiers reprochent aux seconds non seulement d’être des étrangers ayant mis la haute main sur le commerce local, ce qui entraîne des jalousies, mais encore de considérer ouvertement le Ouaddaï et sa capitale Abécher comme devant être un jour rattachés au Soudan. Les Ouaddains ne veulent pas, en outre, que le Collège franco-musulman tombe sous l’influence des djellabas.
Le faqih OULLECH étant tenu pour appartenir au clan djellaba, la rivalité des deux groupes s’est centrée sur sa personne.
Le Sultan Ali SILEK, les Conseillers Représentatifs et l’ensemble des faqihs ouaddaïens se sont faits les interprètes de cette opposition au faqih OULLECH.
Considérant cette réaction comme saine et coïncidant avec nos vues et nos intérêts, j’ai décidé de me passer des services du faqih OULLECH et de faire venir d’Afrique du Nord un maître musulman, instruit et présentant toutes garanties nécessaires pour remplir l’emploi de sous-directeur, M. de MIRAS conservant la direction de la Medersa.
Il serait nécessaire que M. de MIRAS soit détaché par le service de l’enseignement à mon cabinet (affaires musulmanes) ainsi qu’un ou deux moniteurs de français. Il est en effet indispensable que le directeur de ce collège suive surtout des directives politiques, directives qui doivent être très nuancées et variées avec l’évolution de la situation locale. Le côté technique de son rôle n’aura donc pas, avant longtemps, une importance équivalente à cet aspect politique.
Les services de l’enseignement ne pourront prendre ombrage de l’indépendance de cette Médersa, dont les buts, les méthodes et les moyens sont complètements différents des leurs. Le secteur scolaire d’Abécher pourra ainsi poursuivre son propre développement sans avoir à jouer un rôle en une matière dont les incidences musulmanes et partant politiques, doivent relever directement du Gouverneur responsable.
En considération de ce qui précède, j’ai décidé que l’ouverture du Collège franco-musulman primitivement prévue pour le 15 septembre serait reportée, et par ailleurs, je compte me rendre à nouveau prochainement au Ouaddaï pour régler dans tous ses détails cette affaire à laquelle j’attache une importance toute particulière.
Je vous ai déjà annoncé l’arrivée prochaine à Fort-Lamy de M. BINON, qui assurera auprès de vous la direction de l’enseignement du Tchad.
M. Binon est actuellement à Brazzaville et je n’ai pas manqué de faire avec lui le tour des problèmes qui l’attendent ; nous avons notamment évoqué la question de l’enseignement en pays islamisés et plus spécialement celle du collège franco-arabe musulman d’Abeche.
Je tiens tout d’abord à ce que ce nouveau Chef de service prenne la responsabilité de cet établissement ; ses fonctions antérieures et sa formation le qualifient tout à fait pour diriger M. de Miras. Il va sans dire qu’il devra garder le contact le plus étroit avec vos conseillers en matière musulmane et que sur place le Chef de la région du Ouaddai exercera la tutelle règlementaire.
Je vous prie d’ailleurs vous-même, de suivre toujours de très près cette question et de me tenir étroitement informé. Je désire en effet par-dessus tout que notre action culturelle à Abeche s’intègre dans la politique générale que nous entendons suivre dans l’est tchadien et la conjoncture internationale vient de rendre particulièrement sensible cette portion de notre territoire ; tel geste maladroit peut avoir maintenant des répercussions mondiales, il est donc indispensable que notre action concertée s’appuie sur une doctrine elle-même solidement assise sur des faits.
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Nous avons constaté dans le nord et le nord-est du Tchad la solidité toujours actuelle des institutions sociales établies antérieurement à notre conquête. Partout où sciemment ou inconsciemment nous les avons battues en brèche, elles ont pu se mettre apparemment en sommeil jusqu’à l’avènement d’un détenteur ou d’un titulaire plus vigoureux. Aussi, faut-il se garder de prononcer sur elles un jugement de valeur qui ne serait basé que sur la personnalité de tel ou tel Chef.
Par ailleurs, nous relevons avec amertume la réticence des populations islamisées à assimiler notre culture et nos écoles sont presque vides, alors que dans tous les villages et dans tous les campements, avant l’aube, retentit le monotone bourdonnement des récitants de l’école coranique.
C’est ainsi qu’est apparue la nécessité d’introduire l’enseignement du Coran et de l’arabe dans nos écoles primaires pour y attirer la clientèle scolaire de base ; c’est ainsi également qu’est née l’idée d’un enseignement supérieur de même nature successivement baptisé : Médersa d’Abéché, école franco-musulmane, collège franco-musulman.
La diversité de ces appellations est un signe de la confusion des idées à ce sujet ; les lenteurs et les erreurs commises sont, elles aussi, un test de la complexité de l’imbrication des problèmes à résoudre.
Le seul poste positif que nous ayons pour l’instant à écrire à notre bilan est la présence à Abeche de M. de Miras, les contacts qu’il a pu nouer sur place et la bonne opinion qu’il a pu donner de lui à la population. Je reste donc persuadé que la réussite de son entreprise demeure subordonnée à la confiance que nous inspirerons aux cadres traditionnels de la société tchadienne, dans notre bonne volonté et dans la preuve de notre loyauté.
Notre désir est d’abord de mettre à leur portée dans le territoire un enseignement musulman de qualité qui s’inscrive dans le cadre de leurs croyances et c’est la raison profonde pour laquelle l’expédient OULECH s’est avéré irréalisable et dangereux. Ce point est acquis et vous voudrez bien le confirmer aux chefs de région et à M. de Miras, comme je l’ai indiqué à M. Binon. Oulech, sur les agissements duquel je vous demande de me renseigner, ne doit en aucune manière participer à notre enseignement officiel ; quant à son enseignement privé il est à contrebattre et, si possible, à interdire et l’idée envisagée par M. de Miras de recruter ses élèves au collège franco-musulman doit passer tout à fait à l’arrière plan.
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Nous avons le désir de donner aux populations islamisées du nord de la fédération un enseignement musulman digne d’elles et capable peut-être de neutraliser l’attraction trop rapidement grandissante qu’El Azhar exerce sur elles actuellement. Ce désir ne doit pas nous faire perdre de vue que notre détermination finale est de les ouvrir par le truchement de la langue française, à la culture moderne et aux préceptes occidentaux.
J’incline donc à penser que l’établissement d’Abeche doit d’abord être un franco-musulman qui s’orientera aussi rapidement que possible vers un enseignement du second degré. Dans le stade qui suivra, cet enseignement sera sanctionné par un diplôme de la valeur du baccalauréat dans lequel l’étude de l’arabe, de la religion et de la civilisation musulmane aura une place équivalente, sinon supérieure, à celle qu’occupent dans les disciplines métropolitaines, le latin et les civilisations antiques dans le baccalauréat es-lettres, telle langue ou telle civilisation moderne dans le baccalauréat français-langues vivantes.
Vous voudrez bien établir avec le nouveau chef du service de l’enseignement du Tchad, sur ces bases successives et avec la progression appropriée, le programme et les documents convenables.
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D’ores et déjà l’étude des constructions du collège franco-musulman d’Abeche doit être poursuivie sur la base des crédits du plan quadriennal, soit : 120 millions pour les bâtiments et 20 millions pour le matériel que je vous notifierai dès leur approbation ; l’effort important consenti par le FIDES ne sera pas renouvelé et il importe de ne pas le laisser, par négligence ou par lenteur, se prescrire.
Mais prétexte ne doit pas être pris des travaux à effectuer pour retarder plus longtemps l’ouverture de cet établissement. Je vous confirme à ce sujet, les instructions contenues dans ma lettre n°851 du 1er octobre dernier. Vous savez le désir que j’éprouve comme vous de voir le collège d’Abeche démarrer aussi rapidement que possible.
Nos premières réalisations ne pourront être que simples si, par ailleurs, notre but final peut paraître ambitieux ; pour une phase que j’espère aussi courte que les contingences locales le permettront, l’enseignement arabe et musulman sera greffé sur un enseignement français inspiré du premier degré.
Il est certain qu’avec la collaboration confiants du Sultan ALI SILEK les problèmes immédiats d’installation, de recrutement et de logement seront aisément résolus.
Je suis sûr que vous saurez coordonner l’activité de chacun pour que cette difficile entreprise prenne enfin corps et devienne à bref délai, avec succès, l’un des éléments prépondérants de notre politique dans ce pays.
Le collège franco-arabe de Ouaddai
Le Collège franco-arabe d’Abéché a suscité depuis 1950, en Afrique musulmane française, un mouvement de curiosité qu’il est parfois difficile, voire inopportun de satisfaire. Difficile, parce que les circonstances politiques de sa création ont déterminé, en ce qui concerne l’orientation à donner au collège, des tendances contradictoires. Inopportun, parce que les premiers résultats acquis ne valent que pour le Ouaddaï, et ne sauraient encore avoir une valeur d’exemple.
Il existe au Tchad un million d’individus intéressés par l’enseignement coranique traditionnel, soit la moitié de la population du Territoire. Cette masse importante, constituée de noyaux arabes et de tribus négroïdes, unis par le lien de la religion, pratique un islam orthodoxe, individualiste, simple, à l’intérieur duquel, à l’encontre de ce qui se passe en Afrique Occidentale, l’inefficience des confréries et le véhicule de la langue arabe favorisent l’expansion d’un modernisme étranger prenant sa source à l’Université de l’Azhar. D’où la nécessité, pour nous de contrôler l’enseignement religieux, sous peine de laisser s’y développer des courants qui nous deviendront, à coup sûr, de plus en plus en hostiles, cependant que l’école française, considérée comme un lieu de corruption, où l’on enseigne autre chose que le respect de Dieu et des principes de la foi, sera de moins en moins fréquentée. Situation fâcheuse qu’aggravent chez les populations islamisées le déséquilibre social et la xénophobie nés de la prédominance grandissante, au sein de nos administrations publiques et privées, des élites animistes ou chrétiennes venues du pays sara.
C’est pour parer aux dangers d’une telle situation qu’un projet de collège franco-arabe avait été conçu, dès 1946, par le Gouvernement du Territoire, projet dont certaines vicissitudes matérielles, le manque de personnel qualifié et, en une certaine mesure, un immobilisme administratif dont on enregistre malheureusement trop d’exemples, empêchèrent d’année en année la réalisation, jusqu’en 1950, date à laquelle un fait nouveau modifia profondément les données du problème : savoir l’installation à Abéché d’une médersa libre, le « mahad-el-ilmi » du Cheikh Oulleich, diplôme d’El Azhar, qui dispensait un enseignement islamique moderne et draîna, en quelques mois, la totalité des élèves susceptibles de suivre les cours.
L’adversaire ayant eu ainsi le loisir d’imposer le terrain et les armes, il ne s’agissait plus de prévenir sa propagande, mais de la freiner, et si possible d’en atténuer les effets. C’est ce qui explique que le but fondamental de notre action, qui reste, faut-il le dire, la diffusion de la culture française, ait paru parfois négligé au profit d’un enseignement purement arabe, toute tendance à la « francisation » étant généralement sanctionnée par une renaissance du « mahad ».
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Celui-ci répondait aux besoins et au niveau intellectuel des fils de commerçants soudanais et libyens nettement plus évolués que leur coreligionnaires autochtones : enseignement traditionnel coranique ordonné en un cycle préparatoire de 3 ans, auquel s’ajoutait un enseignement de second degré comprenant cinq années d’études de droit, de théologie, de grammaire et de sciences modernes. En 1951, cet « institut islamique » comptait 160 élèves, en majorité d’origine soudanaise, et contrôlait 120 élèves des écoles coraniques de quartier.
En face d’un tel mouvement qui, il faut le reconnaître, l’avait quelque peu prise de court, la première réaction de l’administration fut de composer avec le « mahad », et d’essayer même de l’intégrer, avec ses annexes coraniques, dans l’organisation officielle projetée. Mais Oulleich, fort de son succès, de l’appui des colonies soudanaise et libyenne d’Abéché, et des subsides qu’il recevait directement de l’Azhar, prétendit imposer ses vues et présenta au Chef du Territoire un mémoire en sept points qui visait à installer solidement au Tchad Oriental la seule culture islamique et à en contrôler l’épanouissement. L’animosité ont il témoigna à l’égard des chefs locaux, et notamment du Sultan du Ouaddaï, El Hadj Ali Silek, nous fournit l’occasion de l’éloigner définitivement du centre de ses activités.
L’élimination d’Oulleich ne constituait cependant qu’un avantage négatif ; le climat psychologique qui lui avait permis de réussir demeurait inchangé et il était indispensable d’agir, si nous ne voulions pas à nouveau être dépassés par les événements. L’idée d’un établissement franco-arabe fut dont reprise et au mois d’avril 1952, plus de cent ouaddaiens, anciens élèves du mahad, étaient venus s’inscrire aux cours, le Sultan Ali Silek et ses « foqaha » prenant délibérément la décision de constituer, en complet accord avec le Gouvernement et la direction de l’Enseignement, un conseil de perfectionnement chargé d’assister, par ses avis, l’administration du collège. En attendant que les bâtiments prévus au Plan soient construits, le Sultan mettait à la disposition du Collège, pour servir de salles de cours, les locaux de son palais et, pour constituer un personnel enseignant de base, ses meilleurs « foqaha ».
Deux années plus tard, lors de la rentrée des classes de l’année scolaire 1953-1954, les cours du collège franco-arabe se répartissaient comme suit :
Ce terme de secondaire ne doit pas être entendu ici dans son acception française, mais comme la traduction du mot arabe eththanaûyi, qui correspond aux divisions de l’enseignement pratiqué au Soudan Anglo-Égyptien : ibtidâyi, thaunaûyi, ali… Par ailleurs si les élèves classés dans cette catégorie sont bien du niveau eth-thanaûyi, ils sont plus âgés que la normale. La présence de ces « grands élèves » serait gênante dans un cycle normal d’études. Nous verrons plus loin les raisons pour lesquelles il n’est pas souhaitable, cependant, de leur interdire l’accès de l’établissement.
L’effectif total du collège a donc atteint cette année le chiffre de 220 élèves (187 au primaire et 33 au secondaire) parmi lesquels 8 filles, dont l’admission a été décidée à la demande du Sultan et de certains foqaha, reprenant en l’occurrence une tradition ouaddaïenne. Après avis du Conseil de perfectionnement, les limites de fréquentation du Collège ont été fixées, pour les filles de 8 à 12 ans, soit quatre années d’études franco-arabes qui doivent être complétées par un cours d’enseignement ménager.
A la suite de la propagande faite par le Sultan en faveur du collège, plusieurs chefs, parmi lesquels Abderraham, Sultan du Dar Massalit (Soudan Anglo-Egyptien), ont envoyé leurs enfants au Collège franco-arabe. Ces élèves ont été répartis selon leur niveau en français dans les différentes sections, mais il a fallu créer une classe spéciale d’arabe pour fils de chefs ;
Ce système est complété :
1°) – par un cours de pédagogie pour maître français et arabes auquel sont invités les foqaha de la ville ;
2°) – par un cours de français pour adultes s’adressant aux moniteurs d’arabe et à certains « grand élèves » (malheureusement très rares) du cycle secondaire ;
3°) – un cours d’initiation d’arabe s’adressant aux maîtres du Collège et de l’Ecole Régionale qui continue naturellement à subsister aux côtés de la Medersa.
Le recrutement et le maintien des effectifs du collège ont été favorisés par l’institution d’une cantine scolaire fréquentée matin et soir par 45 élèves. Ceux qui viennent de la brousse sont logés dans des cases construites à cet effet. Tous sont habillés par les soins de l’administration. Auprès de population d’un niveau de vie généralement très bas, ces méthodes d’aide matérielle ne doivent pas être négligées et elles ne font au surplus que reprendre, en les améliorant, celles d’Oulleich. Dans le même esprit, l’aspect du collège, sa façade, ont leur importance, et il convenait de le doter de bâtiments définitifs, dignes d’un établissement scolaire de ce niveau. Dans un avenir proche, aux classes du tata sultanal et de l’annexe de la vieille Mosquée, se substitueront des salles spacieuses, bien aérées, un vaste bâtiment moderne susceptible d’accueillir plusieurs centaines d’élèves venus non seulement du Ouaddaï, mais des régions islamisées environnantes. Un crédit de cent millions de Francs a été prévu au plan d’équipement pour leur construction, qui doit être achevée au début de l’année 1956. Ce crédit vient d’être malheureusement réduit de 50%. Tout sera fait pour ne pas dépasser la nouvelle limite.
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Il est incontestable que le collège franco-arabe, grâce aux contacts maintenus avec la population et les chefs, au concours actif apporté à la diffusion des programmes et au recrutement des élèves par S.H. le Sultant du Ouaddaï, a aujourd’hui grandement consolidé ses positions et que ses effectifs ont, dès maintenant, très largement dépassé ceux qui avaient été atteints dans le passé par l’École Régionale. Dans l’ensemble, sauf chez les djellabas et les arabes du nord, le programme de la « Medersa el Alia » a chaque jours plus de partisans. Il faut reconnaitre toutefois que c’est à la souplesse de ce programme, et à la part qu’il fait à l’enseignement de l’arabe, qu’est dû, principalement, ce succès.
En fait, les buts fondamentaux de l’institution n’ont été atteints qu’au primaire, les circonstances ayant été telles que les responsables du Collège, par prudence, ont dû se contenter jusqu’à présent, au secondaire, du moindre mal : savoir, un programme purement arabe, dans ses conséquences lointaines peut être aussi dangereux que celui d’Oulleich, et dont le seul avantage sur celui-ci est que le contrôle permanent d’un directeur habile, et d’un Sultan sincèrement dévoué à notre cause, permet d’en atténuer les virulences, et d’en maintenir, en une certaine mesure, l’orthodoxie à l’abri des propagandes de caractère pan-arabe. Encore convient-il de ne pas nourrir trop d’illusions quant aux possibilités de lutte, sur un tel terrain du Collège d’Abéché en face du Moyen-Orient tout entier.
Le principe de l’enseignement franco-arabe au sein du cycle primaire n’a pas soulevé de difficultés majeures, sauf peut-être en ce qui concerne le choix des horaires à consacrer à l’étude de l’une ou l’autre langue. Le nœud de l’affaire est constitué, en réalité, par le programme du cycle secondaire, à l’occasion duquel se manifeste une certaine divergence de vues, d’ailleurs purement théorique, entre la direction de l’enseignement et l’administration du Ouaddaï.
Aux yeux de l’enseignement, le pseudo cycle secondaire actuel n’offre qu’un intérêt limité, une sorte de couverture morale en face du « mahad », et il convient d’envisager, pour les années à venir, l’ouverture de véritables classes du cycle secondaire à programme mixte, faute de quoi se posera à nous, un jour ou l’autre l’insoluble problème du diplôme et des débouchés à accorder à des étudiants que nous aurions officiellement formé à des disciplines purement arabes. L’administration régionale, elle, estime que la Medersa est une pure affaire de politique locale, dont les buts essentiels sont : I°) de concurrencer victorieusement le mahad ; 2°) d’empêcher l’exode, vers El Azhar, des foqaha ouaddaïens en leur offrant sur place les moyens de perfectionner leurs connaissances. A ce titre, la fraction la plus intéressante de l’institution, celle qui fait réellement sa réputation, lui paraît être précisément constituée par ces « grands élèves » de l’actuel cycle secondaire. Au total, la seule orientation valable, à ses yeux, serait de donner l’avantage à l’arabe dans les programmes d’enseignement en faisant de la Medersa une sorte d’institut musulman, instrument politique autonome sans rapport avec une organisation scolaire.
Ce point de vue a été renforcé par la brutale réapparition en 1953, sous la direction d’un ancien disciple d’Oulleich, Adoum Barka, d’un mahad qui n’avait d’ailleurs jamais cessé complètement de fonctionner. En quelques semaines, Adoum Barka réussit à grouper 180 élèves au sein de la Mosquée d’Am Siego, dite des Djellabah. Une décision du Sultan, en janvier 1954, leur en a interdit l’accès. L’affaire s’est terminée par un accord passé entre les maitres « libres » et S.H. El Hadj Ali Silek, qui les a autorisés à poursuivre leurs cours, mais sous son contrôle et à l’intérieur de la vieille mosquée : en fait, par l’incorporation du mahad au sein du collège franco-arabe. La « digestion d’un tel apport de recrues n’étant évidemment pas opération facile, le moment paraît mal choisi pour mettre l’accent sur l’étude du français aux dépens de l’arabe.
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La conciliation de ces tendances : l’une visant au-delà des contingences locales, au règlement d’un problème politique capital pour l’avenir de la présence française en A.E.F, mais à laquelle certains reprochent d’aggraver, par des initiatives trop hardies, les difficultés d’implantation du Collège dans un milieu déjà travaillé par des influences orientales ; l’autre cherchant à contre balancer et à contrôler, dans l’immédiat, l’action dangereuse menée au Ouaddaï, sous le couvert du mahad, par les maîtres de l’Azhar, mais qui risque de s’essouffler rapidement dans un combat où, utilisant les mêmes armes que l’adversaire, elle joue perdant à longue échéance ; cette conciliation qui devra peu à peu, faire l’objet d’instructions plus précises trouvant leur reflet dans les cadres institutionnels de l’établissement, a été opérée jusqu’à ce jour avec beaucoup de tact et d’habileté par son directeur, M. de Miras, arabologue distingué dont la personnalité et l’influence conditionnent à l’heure actuelle l’existence même du Collège.
A ce titre, il est éminemment souhaitable qu’un renfort de spécialistes, lesquels ne peuvent venir que de notre Afrique du Nord, soit mis à sa disposition. Les premiers d’entre eux sont annoncés au Tchad pour la rentrée prochaine.
Il serait prématuré, à l’heure actuelle, de faire des prédictions sur l’avenir du Collège franco-arabe. Mais on peut penser que l’orientation à donner aux programmes est, pour une bonne part, affaire de génération. Les « grands « élèves » de l’actuel cycle secondaire ne cherchent, en majorité, dans la poursuite de leurs études à la Medersa, qu’un but de perfectionnement intérieur et de piété désintéressée. Lâcher du lest, en maintenant pour eux, au sein de l’établissement, une sorte d’ « institut islamique » contrôlé directement par le sultan et le directeur, paraît être une opération judicieuse, aux inconvénients limités, et susceptible de contribuer grandement à la réputation du Collège. Il en va autrement des enfants ayant déjà accompli le cycle primaire franco-arabe qui revendiqueront légitimement, au terme d’études complètes menées sous notre contrôle, la sanction d’un diplôme et d’une situation ; aussi légitimement que nous pourrons attendre d’eux qu’ils conservent la marque d’une formation française, née de la pratique de notre langue, et de leur contact avec certains aspects essentiels de notre civilisation. C’est à l’intention de ces jeunes classes qu’il faut prévoir, au sein d’une scolarité définie, non seulement la diffusion de notre culture, mais aussi celle de l’enseignement technique : condition nécessaire pour que les élites musulmanes s’intègrent à notre système et que s’établissent entre elles et les éléments venus du Sud l’harmonie nécessaire à la saine évolution du Territoire.