Que recherchez-vous ?
Un contenu sur ce site
Une personne sur l'annuaire
Une formation sur le catalogue
Un contenu sur ce site
Une personne sur l'annuaire
Une formation sur le catalogue
Ce document conservé dans le fonds de la résidence supérieure au Tonkin, nouveau fonds, RSTNF 3545, donne un aperçu des minorités ethniques du nord de l’Indochine pendant la seconde guerre mondiale et de leur difficile accès à l’éducation.
Il peut être rapproché du rapport dressé, essentiellement concernant les Tay, dans la province de Son-La à la même époque.
Comme suite à votre lettre n°1145-D/AP du 28 août 1943, j’ai l’honneur de vous rendre compte ci-dessous des problèmes relatifs à l’enseignement des minorités ethniques du Tonkin et des solutions que je propose d’y apporter.
Les minorités ethniques du Tonkin forment une population totale d’environ un million d’habitants appartenant à des races diverses et réparties très inégalement dans les provinces de la Haute et de la Moyenne Région.
Les thôs forment le groupe le plus important et sont au nombre de 320 000 environ. Ils habitent les provinces de Backan, Langson, Lackay, Thainguyen, Tuyenquang, Yênbay, ainsi que les territoires militaires de Caobang, de Haïning et de Hâgiang. Sur un total de 10 000 élèves thôs dans les écoles du Tonkin, plus de 7000 appartiennent aux provinces de Backan et de Langson et au Territoire de Caobang.
L’administration du Protectorat et la direction de l’instruction publique se sont préoccupées il y a plusieurs années de donner l’enseignement dans leur propre langue à ces populations, afin de leur faciliter l’acquisition des connaissances élémentaires usuelles.
La principale difficulté provenait de la diversité des dialectes et de l’absence d’écritures. Une commission présidée par M. GOEDES, Directeur de l’école française d’Extrême-Orient, s’efforce de combler cette lacune en établissant un système de transcription phonétique analogue au Quôc-ngu. Deux membres de cette Commission, M. CAO XUAN THIEN, Bô-Chanh provincial à Backan et M. DINH NGOG PHUNG, Tri-*phu de Trân-yên, Yênbay, élaborèrent ensuite pour l’enseignement primaire élémentaire des manuels qui furent publiés par la direction de l’Instruction Publique et répartis entre les écoles fréquentées par des élèves thôs pour y être utilisés pendant l’année scolaire 1939-1940.
En outre, des cours spéciaux furent organisés à Yênbay, Backan, Caobang, Langson, pour préparer les maîtres à l’usage de ces manuels et leur donner les directives nécessaires en vue de la substitution de la langue thô à l’annamite comme véhicule de l’enseignement.
Cette tentative dut être rapidement abandonnée pour diverses raisons. D’une part, elle fut mal accueillie par la population qui ne comprenait pas l’utilité d’envoyer ses enfants à l’école pour apprendre une langue qu’ils connaissaient déjà et qui ne pourrait leur servir ni dans leurs relations commerciales ni dans la suite de leurs études. Cette défaveur se traduisit par une baisse notable de l’effectif scolaire.
D’autre part, la langue des manuels rédigés en dialecte thô s’apparentant surtout aux dialectes utilisés dans les provinces de Backan et de Langson était quelque peu artificielles. Si elle était assez bien comprise dans ces deux provinces et dans une partie du territoire de Caobang avec de légères adaptations locales, il n’en était pas de même à l’ouest de Caobang, à Gaiang ou à Yenbay, en raison de différences assez profondes entre les dialectes.
En résumé, cette expérience contribua à mettre en évidence le fait de l’annamitisation avancée des régions thô où l’annamite est la langue commerciale et administrative, partout parlée par de très nombreux autochtones et apprise facilement et volontiers par les enfants. L’usage de l’annamite comme véhicule de l’enseignement dans les contrées de la Haute Région habitées par les thôs ne présente donc pas de difficultés et répond aux désirs de la population thô. D’ailleurs, là où c’est nécessaire, les maîtres utilisent au Cours enfantin le dialecte local pour faciliter les premières acquisitions.
Sur tout le territoire, aussi bien dans les régions de population annamite que dans celles qui sont habitées par des minorités ethniques quelles qu’elles soient, le français est enseigné aux enfants dès les cours préparatoire et élémentaire lorsque cet enseignement est possible, c’est-à-dire partout où la compétence du maître le permet. Cette initiation qui répond à l’esprit des instructions contenues dans votre lettre n°1445-D/AP du 28 août 1943, est destinée à mettre les enfants en mesure de recevoir dès leur entrée dans le cycle primaire complémentaire un enseignement dont le véhicule est la langue française.
Les rapports de fin d’année montrent que pendant l’année scolaire 1941-1943 le nombre des élèves de race Thô dans les écoles du Tonkin s’est élevé à 9988 dont 8975 pour l’enseignement primaire élémentaire et 1013 pour l’enseignement primaire complémentaire.
B. – Nung –
Les Nung sont les autochtones les plus nombreux après les thôs : environ 200 000. On les trouve surtout dans les provinces de Backan et de Langson et les territoires militaires de Cao-Bang, de Haïninh et de Hàgiang. Ils sont très proches des Chinois dont ils parlent la langue et utilisent les caractères.
2250 élèves de cette race fréquentent les écoles dont 2076 dans le cycle élémentaire et 174 dans le cycle complémentaire. Il est difficile, en raison de leur dispersion, d’organiser pour eux un enseignement dans leur langue maternelle. D’ailleurs, cet enseignement contribuerait à les rejeter hors de la communauté indochinoise et à créer au Tonkin une sorte de minorité chinoise. Il convient donc, en ce qui les concerne, de conserver l’annamite comme véhicule de l’enseignement primaire en s’efforçant de développer l’enseignement du français comme pour les autres minorités.
C) – Thais –
Les Thais sont 160000 environs et habitent surtout la vallée de de la Rivière Noire dans les provinces de Sonla et de Laichau où ils n’ont que peu de contacts avec les Annamites. Leur langue s’apparente au Laotien et ils possèdent une écriture du genre pali.
Les enfants thais apprennent difficilement l’annamite qui a été pendant longtemps, faute de maîtres connaissant leur langue et de manuels, le véhicule obligatoire de l’enseignement. Il en résulte pour eux un sérieux handicap et un retard dans l’acquisition des connaissances élémentaires. Ils oublient même fréquemment ces connaissances péniblement acquises après leur retour au village où ils n’entendent guère plus parler que leur langue maternelle.
L’administration du protectorat s’est préoccupée depuis longtemps de remédier à ce handicap.
Un des principaux obstacles est maintenant surmonté puisque, grâce aux écoles complémentaires de ces deux provinces, nous possédons un personnel capable de dispenser l’enseignement en langue thai. Les instituteurs auxiliaires annamites ont été remplacés progressivement par des maîtres de race thai. Il a été également possible de fournir de huong-su autochtones les 45 écoles communales qui existent dans ces régions. Les deux instituteurs auxiliaires annamites qui y restent encore sont fixés depuis longtemps dans le pays et sont capables d’enseigner aux enfants leur langue maternelle.
Il a été possible de réaliser un commencement de réforme. En conséquence, j’ai donné, le 19 août 1943, toutes instructions utiles pour que, dès la rentrée scolaire suivante, une heure par jour soit réservée à la langue thai (lecture et écriture) dans les classes du cycle élémentaire officiel et dans les écoles communales de la province de Sonla et du Territoire militaire de Laichâu.
De plus, depuis novembre 1943, la langue thai est utilisée comme langue véhicule dans les cours enfantins et préparatoires de ces écoles où toutes les inscriptions sont, dès maintenant, établies en thai romanisé ou en caractères thais.
Les premiers rapports qui me sont parvenus montrent que cette réforme a été accueillie avec joie par la population et qu’elle donne également satisfaction aux maîtres et aux élèves.
Mais il restait une question plus difficile à résoudre : celle des manuels. S’il a été possible en effet d’utiliser provisoirement pour la lecture et l’écriture dans les cours enfants et préparatoires le syllabaire restreint établi par les soins de M. le pasteur Fune à Sonla, il était indispensable, pour permettre de poursuivre la réforme, de substituer aux manuels utilisés dans les divers cours du cycle élémentaire, des manuels rédigés en langue thai et adaptés à la région où ils doivent être utiliisés.
La préparation de ces manuels doit comporter deux temps :
1°/- la traduction en langue thai et l’adaptation des manuels annamites précédemment en usage ;
2°/- l’impression des manuels traduits.
La traduction en langue thai des manuels se heurte à une grosse difficulté provenant des différences de dialecte qui existent non seulement entre les deux rameaux thai blanc et thai noir dont l’écriture et le langage diffèrent sensiblement, mais même en pays thai noir, entre les divers Muongs, qui ont des particularités dialectales assez prononcées.
Il était donc nécessaire de procéder au choix du dialecte à utiliser et à l’établissement de l’alphabet correspondant.
A cet effet, une commission réunie sous la présidence de M. le Résident de France à Sonla a été chargée :
1°/- de corriger le syllabaire et le manuel d’hygiène de Fune ;
2°/- de mettre au point un système de romanisation du thai, susceptible de permettre l’établissement de manuels élémentaires, utilisables du Fleuve Rouge au Song Ca.
Cette commission a déjà abouti dans ses travaux. Elle s’est, en outre, occupée de fixer les termes administratifs usuels.
L’impression du syllabaire au moyen de la gravure sur bois sera faite par les soins de M. le Résident de Sonla à qui j’ai accordé la subvention nécessaire.
La romanisation de l’alphabet simplifie le problème de l’impression des manuels qui était jusqu’ici une des principales difficultés. En effet, l’absence de caractères d’imprimerie correspondant aux caractères thai aurait rendu nécessaire de recourir au procédé très onéreux de l’impression photographique.
La réforme commencée cette année aux cours enfantins et préparatoires sera étendue progressivement au cours élémentaire à mesure que l’impression des manuels le permettra.
En outre, le français est enseigné au cours élémentaire dans les écoles où les maîtres sont capables de donner cet enseignement. A partir du cours moyen le français est utilisé comme langue véhicule.
M. le résident de France à Sonla qui est un spécialiste de la langue thai et le service de l’enseignement au Tonkin ont reçu mes instructions pour suivre de près cette réforme et en contrôler les résultats.
D. – Muongs –
Les Muongs au nombre de 130 000 se trouvent presque en totalité dans les provinces de Hoà-Binh et de Phut-Tho. Ils parlent la langue annamite qui est par conséquent pour eux la langue véhicule actuelle du cycle élémentaire ; le français leur est enseigné dans ce cycle dans toutes les classes disposant d’un maitre capable de le faire et sert de langue véhicule au cycle primaire complémentaire.
E. – Mans –
Les Mans sont 90 000 environ, dispersés dans toute la haute région sauf la vallée de la rivière noire.
Ils utilisent pour l’écriture les caractères chinois. En raison de leur dispersion, il est difficile d’organiser un enseignement spécial à leur intention, d’autant plus qu’ils parlent le Quan-hos. Une école élémentaire dont la population scolaire était essentiellement composée d’élèves mans a existé à Thuong-giao dans la province de Backan. Elle a dû être supprimée en 1940 par suite d’une fréquentation insuffisante. 131 élèves mans au total, fréquentent les écoles du Tonkin, tous dans le cycles élémentaire.
F. – Meos –
Les Mèos habitent principalement les provinces de Hagiang, de Laïchau et de Laokay. Très dispersés et en partie nomades ils forment l’élément numérique le plus faible (80 000 environ). Une seule école, celle de Saphin (Hagiang), créée en 1930 est fréquentés par des élèves appartenant exclusivement à la race Mèo. Son effectif moyen est de 15 élèves ; le véhicule utilisé est la langue annamite.
Un internat mèo a été créé à la rentrée de septembre dernier à l’école de Dong-Van (territoire de Hagiang). En outre, M. le résident de Sonla se propose d’ouvrir une école mèo dans sa province. Il a envisagé d’utiliser pour l’enseignement la brochure « Cu Ntu Mung » de Mme Homer Dixon qui sera, au préalable, soumise à l’examen de personnes compétentes.
Il existe également trois ouvrages de feu le R.P. Savina pour l’enseignement mèo : un abécédaire Méo-français, un lexique français-Méo, et un recueil de lectures Mèo-français. Ces ouvrages édités par la Mission sont aujourd’hui épuisés. Le service de l’enseignement au Tonkin s’est mis en rapports avec Monseigneur le Vicaire apostolique de Hanoi pour examiner la possibilité d’une réimpression de ces ouvrages.
J’ai estimé qu’il était indispensable, pour mettre aux minorités ethniques de la Haute Région de conserver leur caractères originaux tout en évoluant dans le cadre de la fédération indochinoise, de donner à ces populations, la mesure du possible, des maîtres et des cadres autochtones. C’est dans ce but que j’ai été amené à créer en août 1943, au cours primaire supérieur de Langson, une section normale et une section administrative.
La section normale a pour objet de former des instituteurs auxiliaires pour les écoles de la Haute Région.
La section administrative est destinée à former des Tong-au et des secrétaires de Résidence autochtones. Les élèves de ces deux sections sont recrutés parmi les candidats nés dans la haute région et appartenant à des familles qui y sont fixées.
En outre, pour permettre aux provinces qui ne comptent pas encore de jeunes gens possédant une instruction suffisante pour être admis dans ces sections de préparer des candidats pour l’avenir, j’ai prescrit de réserver dès la rentrée scolaire de 1943 un certain nombre de places dans la classe de Ière année du Cours primaire supérieur de Langson. Les chefs de province et les commandants de territoire militaire intéressés ont reçu des instructions pour envoyer dans cette classe un certain nombre d’élèves considérés comme « pupilles » de leur province qui pourvoit à leurs frais d’études, de nourriture et d’entretien.