Notice

Suite aux abus constatés dans le choix et la rémunération des maîtres indigènes dans les communes, l’administration décide de limiter les cas de paiements non monétaires et fixe de nouvelles modalités de nomination.

Les documents sont extraits du fonds de la résidence supérieure au Tonkin nouveau fonds, RSTNF 3580, conservé aux Archives Nationales d’Outre-Mer (ANOM).

Copie d’une lettre n°1001-S du 12 janvier 1938 de l’inspecteur de l’enseignement primaire franco-indigène de la 3ème circonscription au chef du service de l’enseignement au sujet d’un projet de réforme concernant les écoles communales :

J’ai l’honneur d’attirer votre attention sur le fonctionnement des écoles communales et le recrutement des huong-su.

L’arrêté du 27 décembre 1926 et la circulaire qui l’accompagne précisent que le choix du maître, la fixation de sa rémunération relèvent entièrement de la commune annamite. A l’origine, rien n’avait été fixé quant à la façon dont serait payé le huong-su et il paraissait normal de penser que sa solde lui serait régulièrement remise par les autorité communales.

C’était faire à ces autorités une confiance qu’elles paraissent n’avoir pas méritée, dans la majorité des cas, puisque petit à petit, l’Administration du Protectorat a dû intervenir auprès des Résidents chefs de province pour régulariser le paiement de la solde des huong-su et mettre fin aux réclamations trop nombreuses de ces agents communaux (voir circulaire n°93-E du 5 mai 1928, 60-E du 24 février 1932, lettre n°5386-E du 7 avril 1934, n°476-E du 19 octobre 1936).

Actuellement dans la plupart des provinces, le versement de la solde des huong-su s’opère soit à la banque agricole ou provinciale, soit entre les mains du mandarin, c’est-à-dire que cette partie importante du fonctionnement des écoles communales est passée du plan communal au plan provincial. Cette modification a apporté plus de régularité dans le paiement de la solde et d’une façon générale, on peut dire que les hong-su sont régulièrement payés. Une mise au point est cependant encore nécessaire quant aux modalités de versement par le village. Dans certains cas, la solde du huong-su n’est versée que partiellement. Cela entraîne un contrôle provincial de la situation de crédit de chaque village, ce qui ne va pas rappels et, comme répercussion dans le village, des perceptions répétées au titre de l’école ce qui ne doit pas toujours rendre celle-ci sympathique à la population. Il serait bon de fixer que la solde de huong-su doit être versée intégralement au moment de la perception des impôts.

La question d’un salaire minimum a été posée par la lettre n°476-E du 19 octobre 1936 de M. le résident supérieur. Avec le prix actuel de la vie, il ne saurait être inférieur à 10 piastres par mois si l’on veut assurer une vie décente au maître. Il semble que la paiement en nature sous forme d’allocation en rizières ne devrait être que l’exception lorsque le maître est originaire du village. Et encore, peut-on se demander de quoi vivra le huong-su si pour une raison quelconque, la récolte est détruite. Lorsque le village dispose du revenu de rizières pour assurer le fonctionnement de l’école, il vaudrait mieux que ces rizières soient louées à des particuliers et que l’argent de la location soit versé pour payer la solde du maître.

La question du paiement de la solde étant ainsi résolu, il semblerait que la situation des huong-su soit définitivement réglée. Il n’en est malheureusement pas toujours ainsi et si le huong-su perçoit sa solde à la fin du mois, cela ne signifie pas toujours qu’il en jouit intégralement.

En effet, le choix de cet agent est laissé aux soins des notables et c’est au moment de sa nomination que le candidat doit composer avec ceux qui le désigneront. Il faut offrir un ou plusieurs repas, libations consentir, parfois une ristourne sur sa solde à tel agent influent, ce qui fait qu’avant même qu’il soit nommé, le huong-su a le principal de sa solde sérieusement amputé et son salaire mensuel à venir hypothiqué (sic).

J’ai pu obtenir quelques déclarations précises de huong-su ayant dû se plier aux exigences des notables. Je vous les cite : Nguyên van Kha (solde annuelle 72$ + 2 mâu de rizière) a dépensé 30 $ pour sa nomination ; Nguyên dinh Thao (solde 30$ + 4 mâu de rizière) a dépensé 31$50 ; Nguyên tât Dat ( solde 180$) a dépensé 72$ ; Nguyên trong By (solde 72$ et 144 paniers de riz) a dépensé 27$ ; Hoang xuân Hoa (solde 96$ a dépensé 28$ ; Hoang nhu Hiêu (solde 96$) a dépensé 28$ ; Hoang gia Than (solde 122$) a dépensé 22$71 ; Trân gia-Duong (solde 144$) doit en reverser 44$ aux notables.

A côté de ces huong-su qui ont eu le courage de faire leur déclaration combien d’autres ne disent rien parce qu’ils craignent de perdre leur place. Quand en effet, un maître a cessé de plaire ou de se plier aux exigences des notables, ceux-ci boycottent l’école, font le vide autour ou profitent de la première occasion pour demander le renvoi du huong-su et son remplacement par un autre plus docile.

Je n’ignore pas que l’un des buts de la création des écoles communales visait à la bonne entente entre les notables et le maitre, mais je suis certain qu’on n’a jamais pensé que le huong-su devrait être la victime de cette harmonie.

A voir comment sont traités certains de ces agents on se demande si le respect du maître dont on a tant vanté l’existence en pays d’Annam n’est pas un mythe. Dans beaucoup de cas, la situation morale du maître dans le village n’est pas faite pour augmenter son autorité ni asseoir son prestige. Il en sera ainsi tant que son choix sera laissé entre les mains des notables.

Dans sa circulaire n°263-E du 27 décembre 1926, M. le Résident supérieur exprimait l’espoir que les communes feraient elles-mêmes la sélection des maîtres d’après leur capacité et surtout leur valeur morale. Dans la pratique, cette sélection se fait tout autrement.

J’ai interrogé au cours de mes tournées de nombreuses personnes (mandarins administratifs, mandarins de l’enseignement, instituteurs) pour savoir quels sont les motifs qui poussent les communes à ouvrir une école communale. A la base de tous se trouve l’intérêt pécuniaire : intérêt du village qui bénéficie d’une réduction d’impôt supérieure à la solde du huong-su, intérêt des notables qui se payent sur le huong-su. Quand au choix du maître, quand il n’est pas guidé par celui qui régale le mieux, il est parfois imposé par un notable influent, voire même par un mandarin administratif en mal de caser un protégé. Nous sommes loin de la valeur morale du candidat qui devrait seule prévaloir. Pour ce qui est de la sélection par les diplômes, j’ignore si elle joue un rôle dans le choix du village mais je n’ai pas eu jusqu’ici connaissance que l’administration ait eu à trancher un cas litigieux. Dans la pratique, le village présente un seul candidat qui est nommé. L’intervention administrative pour le changement du maitre est assez difficile et l’on m’a signalé des maitres franchement mauvais qui restent en service parce que les notables se déclarent satisfaits de leur travail et ne veulent pas le changer. Dans d’autres cas, la présence de deux clans dans le village entraîne des discussions sur le choix du maître et il arrive que l’école reste dépourvue de huong-su parce que l’accord ne peut se faire.

Telle est la situation actuelle. Or, je puis vous affirmer que d’une façon générale, les huong-su méritent beaucoup mieux. Je cite ici un extrait d’une lettre d’un mandarin de l’enseignement à leur sujet : « Soumis à un contrôle régulier de la part des mandarins de l’Enseignement, ils doivent faire preuve de la même activité et des mêmes connaissances techniques que les instituteurs auxiliaires des écoles élémentaires officielles puisque l’enseignement distribué dans les écoles communales conduit au même résultat (CEEI). Ces modestes agents fournissent dans l’ensemble un travail satisfaisant et obtiennent chaque des résultats très brillants. Les huong-su pourvu du CEP FI après un stage pédagogique remplacent avantageusement les anciens gradués universitaires et changent totalement la physionomie des écoles tenues par ces derniers. Quelques-uns valent autant que des instituteurs officiels, sinon plus. »

Au cours de mes tournées dans les écoles primaires, je me suis enquis du niveau des élèves d’écoles communales qui ont été reçus au concours d’entrée au cours moyen 1ère année. Si l’on m’a signalé quelque fois une légère faiblesse en français, on m’a aussi déclaré qu’il n’y avait aucune différence avec les élèves des écoles élémentaires officielles. J’ai constaté avec quelle facilité les jeunes certifiés primaires se rompaient aux méthodes modernes de pédagogie et savaient mettre de la vie dans leur classe. D’ailleurs beaucoup de nos instituteurs auxiliaires ont été recrutés avec le même bage.

Or, il est certain que l’on demande aux écoles communales de jouer le rôle que les écoles officielles jouent dans le village. Sans aller jusqu’à demander que la situation des maîtres communaux soit assimilée à celle de nos maitres officiels, il est cependant indispensable d’adopter une mesure qui les mette à l’abri des exactions dont ils sont l’objet et leur permette de vivre plus dignement. Jusqu’ici, les mesures adoptées pour remédier à la situation présente ont été prises dans le cadre provincial et sont loin de présenter la même uniformité.

Je vous signale la solution appliquée dans la province de Haiduong où le Résident suit de près la question : les candidatures de huong-su sont reçues à la résidence et classées chronologiquement. Quand un village demande l’ouverture d’une école, c’est en principe le candidat le plus ancien qui est nommé. L’habitude de ces nominations étant prise par la population ne soulève plus aucune réclamation. Elle permet la mutation entre maitres de même solde qui désirent changer de poster. Elle donne plus de facilités pour le remplacement des mauvais maîtres. Elle soustrait les maîtres aux demandes des notables.

Mais pour que cette mesure ne puisse donner lieu à aucune réclamation, il serait plus normal que l’autorité qui nomme l’agent soit aussi celle qui le paie à condition qu’elle dispose du crédit nécessaire. Or, actuellement, la ristourne consentie aux villages profite à ces derniers. Pour les villages payant une somme d’impôt élevée cette ristourne supérieure à la solde du huong-su vient en diminution du budget provincial sans que celui-ci reçoive en contrepartie un travail correspondant. La création des écoles intercommunales devant être l’exception (lettre n°74-E du 31 mars 1928) les petits villages ne peuvent créer une école sans qu’il en résulte une surcharge trop forte des impôts alors que le gros village réalise un bénéfice en ouvrant l’école. Il semblerait normal que, dans l’esprit de collaboration bien compris, l’entraide du point de vue scolaire soit organisée sur le plan provincial. La ristourne sur les impôts dont la quotité pourrait être variable, constituerait une caisse provinciale destinée au fonctionnement des écoles communales.

Le Résident connaissant les besoins scolaires de sa province, procéderait avec l’avis du mandarin de l’Enseignement à la création d’écoles communales et intercommunale là où il le jugerait nécessaire. La diffusion de ces écoles se ferait d’après un plan établi et permettrait d’en étendre le bénéfice à toute la population.

Reprenant les suggestions contenues dans la circulaire n°263-E du 27 décembre 1926, je me demande s’il ne serait pas possible d’envisager le fonctionnement du service de l’Enseignement de la façon suivante :

  • Enseignement élémentaire distribué dans les écoles communales entretenues par la province.
  • Enseignement primaire et primaire supérieur distribué dans les écoles officielles entretenus par le Protectorat.

Au lieu de conserver nos écoles primaires à 6 classes actuelles, le modèle de ces écoles serait uniformément à 3 classes primaires ce qui permettrait d’en avoir un plus grand nombre. Elles seraient réparties suivant les besoins de la population scolaire, chacune ayant son ressort de recrutement. Ce recrutement ayant lieu au concours pour le cours moyen 1ère année, la sélection jouerait et permettrait de ne recevoir que les meilleurs élèves de la région. Le remplacement des écoles élémentaires officielles par des écoles communales se ferait au fur et à mesure de la mise à la retraite des instituteurs auxiliaires dont le cadre est appelé à disparaitre.

Conclusion *.-  Depuis onze ans qu’elles ont été instituées, les écoles communales ont rendu un grand service à la cause de l’Enseignement. L’élévation du niveau général de l’instruction permet de penser que le recrutement des huong-su ira en s’améliorant et il n’est pas interdit de croire que de jeunes diplômés pourront plus tard postuler pour cet emploi (il y en a actuellement un dans la province de Thaibinh).

Mais tant que la situation matérielle et morale de ces maîtres ne sera pas améliorée, je crains que la situation de huong-su ne soit considérée que comme un pis-aller.

Il est indispensable d’entreprendre une réforme générale qui porte remède à la situation actuelle. J’ignore si la solution que je propose rencontrera l’agrément de l’autorité supérieure mais il faut trouver quelque chose.

Projet de lettre de janvier 1938 du Résident supérieur au Tonkin aux résidents chefs de province et aux commandants de territoire militaire au sujet du fonctionnement des écoles communales, RSTNF 3580

La direction locale de l’enseignement vient d’attirer de nouveau mon attention sur le fonctionnement des écoles communales et sur la nécessité d’aboutir à une amélioration rapide de la situation morale et matérielle des Huong-Su.

L’arrêté du 27 décembre 1926 et la circulaire qui l’accompagne, précisent en effet que le choix du maître, la fixation de sa rémunération relèvent entièrement de la commune annamite. Malheureusement, les autorités communales ne semblent pas avoir compris leurs devoirs ni mérité la confiance que l’on avait mise en elles ; placé sous la dépendance étroite des notables, le huong-su doit subir leurs exigences de tout ordre. Son recrutement, le succès de sa carrière dépendent trop souvent de considérations qui n’ont aucun rapport avec ses aptitudes professionnelles et sa valeur morale.

Dans ce même pays où le maitre d’école était autrefois entouré de respect et de considération, on constate trop souvent que le maître actuel n’a aucun prestige, aucune autorité ce qui est incompatible avec son rôle d’éducateur.

La situation matérielle des huong-su n’est pas plus brillante. Il a fallu une réforme administrative pour qu’ils obtiennent le paiement régulier et normale de leur solde. Actuellement dans la plupart des provinces, les fonds nécessaires sont versés soit à la banque agricole ou provinciale, soit entre les mains du mandarin.

Estimant que ces modestes agents méritent beaucoup mieux que le sort qui leur est fait, la Direction de l’Enseignement m’a soumis plusieurs suggestions dont quelques vues méritent d’être retenues.

1°/ Raturé

2°/ Le salaire minimum (qui ne saurait être inférieur à 10 piastres par mois) ne devrait être effectué en nature qu’à titre très exceptionnel lorsque le maître est originaire du village. Encore peut on se demander de quoi vivra le huong-su, si pour une raison quelconque, la récolte est détruite. Lorsque le village dispose du revenu de rizières pour assurer le fonctionnement de l’école, il vaudrait mieux que ces rizières soient louées à des particuliers et que l’argent de la location soit versé pour payer le solde du maitre.

3°/ Pour soustraire les maitres aux exigences des notables, une solution intéressante appliquée dans la province de Haiduong semble pouvoir être généralisée. Les candidatures de huong-su sont reçues à la résidence et classées chronologiquement.

Quand un village demande l’ouverture d’une école, c’est en principe le candidat le plus ancien qui est nommé. Cette pratique permet la mutation entre maîtres de même solde et le remplacement des mauvais maîtres.

4°/ Raturé

5°/ Raturé

J’attacherais un prix à ce que les directives exposées ci-dessus soient suivies dans toutes les provinces. Vous voudrez bien me tenir au courant des mesures que vous aurez prises en ce sens et des difficultés que vous pourrez rencontrer le cas échéant dans leur application.

 

Les éléments de réformes présentés dans ce projet de lettre ont été repris dans une circulaire n°108-it du 18 février 1938 du résident supérieur au Tonkin. Celle-ci est notamment mentionnée dans une lettre n°853-S/L du 26 février 1938 du résident de France à Haiduong au résident supérieur au Tonkin, conservée à la même côte RSTNF 3580.