Notice

Face aux problématiques de la jeunesse algérienne, le Général Salan, délégué général du gouvernement et commandant en chef des forces en Algérie, propose la création d’un service central de la jeunesse.

Le document est conservé aux Archives Nationales d’Outre-Mer à la cote 81 F 534.

Lettre du 26 septembre 1958 du général Salan au Président du Conseil sur la jeunesse d’Algérie

 

Tous les ans, en Algérie une vague de 105 000 garçons, Européens et Musulmans, sur lesquels un cinquième environ ont été scolarisés, arrive à l’âge postscolaire. La plupart d’entre eux, soit 80 000 environ, sont d’origine rurale.

Voici les différents procédés de formation actuellement à leur disposition avec la capacité d’absorption annuelle de chacun d’eux :

  • L’enseignement secondaire et les cours complémentaires d’enseignement général (CCEG) : 7000 places/ an.
  • L’enseignement technique et professionnel : 6000 places/an
  • L’enseignement agricole : 1000 places /an
  • Les centres sociaux : 2000 places /an

Ceux-ci ont été crées à la fin de l’année 1955. Ils ont essentiellement pour but de donner une éducation de base à tous les éléments d’une communauté n’ayant pas bénéficié ou ne bénéficiant pas de scolarisation, et comportent, en particulier, des classes de désanalphabétisation.

  • La formation professionnelle des adultes (FPA) (jeunes de 17 à 19 ans, faisant partie d’une promotion globale de 4500 élèves) : 1500

Elle s’adresse, en principe, aux adultes mais accepte un certain nombre de jeunes. Elle est normalement précédée d’une préparation assurée dans les sections de préformation.

  • L’enseignement professionnel privé, subventionné et contrôlé par l’Administration : 1000

Ce sont, entre autres, l’organisation rationnelle du Travail (ORT), les centres des Pères blancs, Moissons nouvelles, etc…

  • L’apprentissage dans l’industrie, accompagné des « cours professionnels de perfectionnement », ainsi que l’apprentissage familial : 6500

Ainsi, au total, sur ces 105 000 garçons, 25 seulement peuvent entrer dans un système qui leur donnera une formation professionnelle.

Si l’on admet, en outre, que 20 000 des jeunes, essentiellement ruraux, restent dans un cadre familial leur assurant une formation convenable, c’est donc une masse approximative annuelle de 60 000 jeunes qui ne reçoit pas de formation à l’âge postscolaire.

La conjoncture politique actuelle, l’accroissement démographique, la faiblesse du développement économique, l’insuffisance de la formation professionnelle, ont pour conséquence un chômage d’autant plus alarmant qu’il frappe les jeunes, alors que ceux-ci devraient voir la vie s’ouvrir devant eux, pleine de promesses.

De ce fait, nous ne pouvons qu’assister, sans avoir les moyens de nous y opposer, à la prise de possession grave et désolante du meilleur de la jeunesse musulmane par des mouvements subversifs, compromettant ainsi tout espoir de fusion à l’intérieur même du territoire algérien.

Parmi les problèmes auxquels une solution, même onéreuse, doit être apportée, j’inscris en première urgence celui de cette jeunesse, car tous les autres en dépendent.

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Pour pallier l’insuffisance des moyens de formation existants, il a été établi, selon mes directives :

  • Un plan de masse à la base préconisant, pour la fin de l’année en cours et l’année prochaine :
    • La mise en place de 1000 foyers sportifs, dont 300 sont déjà créés. Ils constituent une sorte de quadrillage permettant la reprise du contact avec la jeunesse. Les plus importants d’entre eux seront transformés en « foyers de jeunes » destinés à élever le niveau physique et culture de leurs adhérents.

Étant donné que chaque foyer s’adresse normalement à 100 jeunes, et en supposant qu’un garçon fréquente le foyer en moyenne pendant deux ans, ce sera donc une masse de 50 000 jeunes qui pourront, chaque année, entrer dans ces foyers.

  • La création de « bureaux départementaux de la jeunesse » destinés à organiser l’orientation professionnelle et surtout le placement des jeunes, en liaison étroite avec les organismes qui sont déjà chargés de cette mission.
  • Un plan de promotion sociale et professionnelle pour les villes préconisant, pour la fin de l’année en cours et l’année prochaine :
    1. La création de classes, dites de « plein emploi », par l’entremise des Centres Sociaux (6000 jeunes analphabètes par an).
    2. La création de 34 « centres urbains », devant toucher 16 000 jeunes garçons par an.

Ils sont destinés à adapter les jeunes ayant été scolarisés à la transition entre leurs conditions de vie sociale actuelle et celle qui les attend dans la vie moderne. Ils se transformeront le soir en « foyers de jeunes », destinés à élever le niveau physique et culturel de leurs adhérents.

  • La création de 3 « centres de départ en métropole » destinés à orienter les travailleurs sur leur mode de vie future.
  • Un plan de promotion sociale et professionnelle pour les campagnes, préconisant pour la fin de l’année en cours et l’année prochaine, le développement de l’expérience des 20 chantiers de jeunes bâtisseurs, afin de parvenir à 150 chantiers pouvant absorber annuellement 20 000 garçons.

Ces chantiers s’adressent à la jeunesse rurale oisive d’âge postscolaire. Les jeunes y recevront, pendant un an environ, une formation humaine et préprofessionnelle rurale, jumelée avec l’accomplissement de travaux rémunérations d’intérêt général.

Certains pourront être transformés, selon les besoins locaux, en « centre d’artisanat rural », et centres d’apprentissage agricole.

Ainsi, l’effort de formation à l’âge postscolaire, prévu par les plans de masse, des villes et des campagnes, permettra :

  • Une reprise de contact et une désanalphabétisation partielle, par l’action de masse des foyers sportifs et foyers de jeunes, avec environ 50 000 des 60 000 jeunes délaissés.
  • Une formation complémentaire pour 36 000 d’entre eux (16 000 dans les centres urbains et 20 000 dans les centres de jeunes bâtisseurs), sélectionnés parmi les adhérents des foyers sportifs ou foyers de jeunes.

En conclusion :

Les différents organismes de promotion sociale et professionnelle existants ou à créer dépendent actuellement de trois directions différentes et de divers organismes privés :

  • Education nationale pour la scolarisation 2ème degré et les CCEG, l’enseignement technique et professionnel, les centres sociaux, les cours professionnels de perfectionnement et, selon le projet envisagé, les centres urbains,
  • Travail pour les sections de préformation, la formation professionnelle des adultes, les centres de départ ;
  • Cabinets civil et militaire pour les foyers sportifs et foyers de jeunes, les chantiers de jeunes bâtisseurs.

De ce fait, il apparait nécessaire de créer un « service central de la jeunesse »,

  • Destiné à coordonner, au profit de la jeunesse d’âge postscolaire, et en accord avec les directions intéressées, l’ensemble de ces réalisations sur les plans
    • Recensement des jeunes
    • Orientation professionnelle
    • Formation
    • Débouchés
  • Capable de présenter toutes études sur les orientations à donner aux jeunes vers des formations en rapport avec les perspectives d’emploi. Le problème de la jeunesse sera résolu quand celle-ci, ayant été instruite, trouvera normalement du travail.

Ce service devrait disposer d’un budget particulier, destiné à l’entretien et au développement des centres de formation momentanément soutenus par les cabinets civil et militaire, avant de pouvoir être confiés, dès le retour de la sécurité, et lorsque le plan de scolarisation et d’équipement aura porté ses fruits, aux directions dont ils devraient normalement dépendre.

Faute de la création de ce service de la jeunesse et de l’attribution d’un tel budget, ces projets, dus à l’initiative du ministère de l’Algérie ou de la délégation générale, seraient voués à disparaitre. De plus, sans cet organisme coordinateur, le problème de la jeunesse risquerait de ne pas être résolu, même à la fin du programme actuel de scolarisation et du plan d’équipement, faute d’une adaptation suffisante des plans de promotion sociale avec les perspectives d’emploi.