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Les deux documents reproduits ici sont adressés par le gouverneur général de l’Algérie au ministre des Affaires étrangères à la demande de celui-ci en septembre 1948.
Ils sont conservés aux Archives Nationales d’Outre-Mer à la cote 81 F 1720.
Il est indéniable qu’une très forte proportion de femmes Françaises-musulmanes est encore illettrée à l’époque actuelle, mais il est également certain que le pourcentage des illettrées va en diminuant et qu’il s’abaisse en même temps que l’âge des femmes et fillettes en cause.
S’il est exact que trop de musulmanes algériennes n’aient pas encore bénéficié des bienfaits de notre enseignement, doit-on rendre la France seule responsable de ce fait ?
Une étude de M. CHEFFAUT, ancien Vice-Recteur de l’Académie d’Alger jointe en annexe, fournit la preuve que la France consciente de sa mission civilisatrice a tout fait dès son installation en Algérie pour instruire les populations dont elle avait désormais la charge d’assurer l’évolution.
Certes les résultats obtenus ne furent pas toujours ceux que l’on était en droit d’espérer.
Les difficultés financières et les trois guerres de 1870, 1914-1918, 1939-1945 freinèrent l’essor de cet enseignement. Mais il n’est pas exagéré de dire que le principal obstacle à la diffusion de l’enseignement dans les milieux féminins trouvait son origine dans le mode de vie de la femme musulmane. Bien que le Coran préconise l’instruction de la femme, jusqu’à ces derniers temps les Musulmans se sont montrés réticents lorsqu’il leur fut offert d’instruire leurs filles. La coutume veut, en effet, que dès l’âge de 10 ou 11 ans la femme vive recluse, elle ne sort que voilée et évite toute promiscuité masculine. Elle est mariée très jeune, parfois même avant 15 ans. Dès son tout jeune âge elle participe aux travaux ménagers, aux travaux des champs et parfois elle est employée à des besognes rémunératrices.
Aux environs de 1880 les Musulmans consentirent avec plus ou moins d’empressement à envoyer leurs filles dans les premières écoles enfantines créées, l’âge de scolarisation ne dépassant pas 8 ans.
Mais il fallut de nombreuses années pour leur faire accepter de laisser leurs filles aller à l’école au-delà de cet âge. Par respect des traditions, tout en créant des écoles enfantines et en maintenant des écoles de filles déjà fondées, l’effort de scolarisation porte principalement sur la population masculine. Ceci explique pourquoi de nos jours, le plus grand nombre de femmes musulmanes analphabètes se rencontre parmi celles âgées de 40 ans et plus.
Avec le temps, au contact de la civilisation occidentale les mœurs évoluèrent, les musulmans se rendirent compte que l’instruction de la femme était très désirable et comprirent le rôle que devait et pouvait jouer dans leur foyer une épouse et une mère cultivée.
Progressivement l’instruction des filles est entrée dans les mœurs musulmanes ; elle est maintenant couramment admise et souvent même réclamée, dans les milieux citadins et en Kabylie en particulier.
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L’ensemble de ce problème fit l’objet d’études attentives à la suite desquelles, dès 1944, le Gouvernement provisoire de la République Française a promulgué une série de décrets tendant à accélérer l’instruction en Algérie et tout spécialement celle des Musulmans. Le décret du 27 novembre 1944 a fixé un plan de scolarisation totale de la jeunesse algérienne échelonnant sur vingt années la création de 20 000 classes susceptibles d’accueillir un million d’élèves supplémentaires. Il est prévu l’ouverture annuelle de 400 classes pendant les trois premières années pour atteindre en fin d’exécution du programme le chiffre annuel de 1500, 2000 et 2500 classes.
Afin de rattraper le retard dont souffre l’enseignement féminin, 60 à 70% des classes crées étaient réservées aux filles. Avec les années l’écart ira en s’atténuant et les classes seront affectées au prorata des effectifs.
En exécution de ce programme 1370 classes ont été ouvertes entre le 1er janvier 1945 et le 31 décembre 1947. Il existe actuellement près de 700 classes de filles. Les effectifs scolaires musulmans sont les suivants :
Dans les écoles européennes (Section A) : 22 090 garçons ; 12 000 filles
Dans les écoles musulmanes (Section B) : 108 066 garçons ; 27 207 filles
Soit un total de 40 000 filles sur 170 000 enfants musulmans, ce qui représente plus du ¼ de l’effectif total.
Il faut ajouter à ce chiffre : 900 filles suivant des cours complémentaires ; 500 filles suivant des cours d’enseignement secondaire et supérieur et 4000 fillettes dans les écoles maternelles.
On atteint donc le total de 45 400 filles musulmanes annuellement scolarisées sur une population féminine qui peut être évaluée à quatre millions environ.
On imagine les difficultés de tous ordres que présente l’exécution du programme de 1944. Mais un effort soutenu a été fait dans ce domaine et les chiffres ci-dessus démontrent que les réalisations ont dépassé les prévisions. Cependant ce rythme ne pourra être maintenu qu’autant que les possibilités budgétaires, l’approvisionnement en matériaux et le recrutement des maîtres le permettront.
Quoiqu’il en soit, les résultats obtenus jusqu’à ce jour sont des plus encourageants et permettent d’envisager avec optimisme l’avenir de l’enseignement de la jeunesse musulmane en Algérie.
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Pour compléter cette œuvre l’Académie d’Alger a créé en 1947 des cours spéciaux d’adultes illettrés qui se sont ouverts depuis le mois d’octobre jusqu’à la fin de décembre.
Dans le département d’Alger jusqu’à 179 cours dont 7 pour femmes ont été ouverts dans 108 écoles, dans le département de Constantine 156 cours dont 3 pour femmes ont été ouverts dans 82 écoles et 60 cours dont 2 pour femmes ont été ouverts dans 3 écoles du département d’Oran.
En 1948, le chiffre total des cours est de 706 pour un effectif de 19 684 dont 500 femmes. Un crédit de 80 millions de francs figure au budget de 1948 pour cet objet.
Quelques cours identiques ont été ouverts par l’initiative privée. Destinés à l’enseignement du français et de l’arabe ils n’ont pas pris une grande ampleur, car leur but politique n’a pas échappé aux populations dont ils recherchent la clientèle.
Malgré le faible pourcentage de femmes suivant un cours d’adulte les résultats ne sont pas négligeables. Cet effort est poursuivi et sera accru jusqu’au jour où la scolarisation ayant atteint son plein rendement, ils reprendront leur rôle de cours de perfectionnement post-scolaires.
Parallèlement à cet enseignement officiel il existe un enseignement privé dispensé par des musulmans. Certains groupements dans le but déclaré de pallier l’insuffisance des écoles officielles mais principalement pour diffuser l’enseignement de la langue arabe, ont fondé des écoles libres dans le cadre des lois en vigueur. Cet enseignement est donné principalement :
L’enseignement libre comprenant l’étude du français rien qu’à un degré moindre que dans les écoles officielles, participe néanmoins dans une mesure appréciable à l’effort entrepris pour lutter contre l’analphabétisme. C’est pourquoi l’administration ne manque pas de suivre l’action de ces organismes privés afin, tout en surveillant l’enseignement qu’ils dispensent, de les rapprocher de nos conceptions en leur démontrant l’intérêt qu’elle attache à leur œuvre éducatrice.
Le nombre des filles musulmanes suivant des cours dans des médersas libres était évalué en 1947 à 1500 dans le département de Constantine, 1000 dans le département d’Oran, 400 dans le département d’Alger, soit un total de 2900.
L’enseignement confessionnel, qui comporte uniquement l’étude du Coran et de la langue arabe n’entre pas dans le cadre de cette note et n’est cité que pour mémoire.
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Le plan de scolarisation actuellement en cours de réalisation est plein de promesses. Si rien ne vient retarder son exécution, on peut espérer que dans une vingtaine d’années il ne subsistera qu’un nombre minime de femmes musulmanes illettrées dans les villes tout au moins.
Une distinction s’impose en effet entre l’enseignement urbain et l’enseignement rural. Il est permis d’escompter un plein succès dans les villes où d’ores et déjà les conditions apparaissent des plus favorables. Dans les campagnes et les centres ruraux, outre les difficultés rencontrées par l’Académie dans le domaine des réalisations et le recrutement du personnel, l’assiduité des fillettes musulmanes sera plus difficile à obtenir.
Nous avons signalé déjà qu’elles participent très jeunes à tous les travaux domestiques et que certaines sont employées à des besognes rémunératrices. Aussi les parents acceptent-ils plus difficilement de les envoyer à l’école. C’est pourquoi la scolarisation des filles musulmanes en milieu rural ne pourra se faire que progressivement et selon une lente évolution. Il ne saurait être question de la rendre obligatoire, car toute mesure de contrainte heurterait les coutumes d’une population insuffisamment évoluée et on ne peut, dans ce domaine, agir que par [« l’exemple » est en marge, la page suivante reprend sur] persuasion.
C’est par la diffusion de sa culture que la France a déjà conquis bien des cœurs musulmans. La tâche qui reste à accomplir est encore immense mais ne dépasse pas la mesure de son génie. Sans minimiser la valeur de la culture islamique, la France se doit de poursuivre son œuvre, d’amener progressivement la masse musulmane à tourner les yeux vers l’Occident et à s’intégrer plus intimement dans une union franco-musulmane qui apparait plus que jamais comme la seule solution rationnelle du problème algérien.
Dès le début de l’occupation, alors même que l’apaisement n’était pas encore revenu, la question de l’instruction de la population musulmane était prise en considération. Les premiers efforts furent faits pour attirer dans nos écoles les jeunes musulmans. Mais le décret du 6 août 1850 créant six écoles de garçons dans les villes d’Alger, Constantine, Oran, Bône, Blida et Mostaganem, prévit également la création d’un nombre égal d’écoles de filles dans les mêmes centres. Cette tentative ne fut pas couronnée de succès, les Musulmans ayant manifesté une certaine répugnance pour toute activité susceptible d’éloigner les fillettes de leur famille et de leur maison.
Cet échec rendit prudents les rédacteurs du décret du 13 février 1883 le premier des textes organiques qui devaient donner à l’enseignement primaire musulman sa forme propre et ses caractéristiques essentielles. Ce décret prévoyait la création d’écoles enfantines pour les enfants des deux sexes, âgés de trois à huit ans. Il laissait provisoirement de côté l’instruction des filles jusqu’au moment où seraient connus les résultats obtenus par les écoles enfantines.
Si certains musulmans conscients de la nécessité de faire instruire leurs filles acceptèrent de les envoyer à l’école enfantine c’était dû au fait que l’âge de scolarisation ne dépassait pas huit ans, âge à partir duquel la fillette bien souvent était voilée et même recluse chez elle.
Il fallut lutter contre ces préjugés et convaincre la masse de la nécessité de laisser les fillettes aller à l’école. Toutes garanties leur furent données, l’enseignement étant dispensé par des institutrices.
Le décret du 18 octobre 1892 réaffirma tout d’abord le principe, déjà admis par les décrets de 1883 et 1887, qu’il n’y a pas de séparation absolue entre l’enseignement primaire européen et l’enseignement primaire musulman que les enfants musulmans sont admis au même titre que les élèves français dans les écoles enfantines, d’écoles réservées aux filles, qui pourront désormais être établies dans les centres européens ou indigènes lorsqu’elles seront demandées par les autorités locales d’accord avec la majorité des membres musulmanes [à] l’Assemblée Financière. C’est qu’en effet une certaine évolution s’est produite en ce qui concerne l’enseignement féminin. De timides suggestions ont été faites en 1891par la population de certaines grandes villes, suggestions reprises au Parlement par les rapporteurs des commissions de l’instruction publique, en faveur de l’organisation parallèle de l’enseignement des garçons et des filles. On a fait ressortir que les deux sexes étaient destinés à partager une vie commune, l’infériorité intellectuelle de la femme risquerait d’agir ultérieurement sur le mari qui perdrait vite le gain de son éducation ébauchée, qu’à force de volonté et de persuasion on arriverait à surmonter certaines réticences et qu’enfin les cinq ou six écoles de filles déjà ouvertes avaient donné des résultats plutôt encourageants.
L’académie garde toutefois sur cet important problème une opinion plus réservée et plus prudente. Elle estima qu’il était nécessaire de poursuivre encore pour quelques temps les expériences en cours, et que la question des écoles de filles ne pourrait être isolée de celle des écoles enfantines. C’est en amendant dès ses premières années la jeunesse musulmane sur les bancs de la classe qu’on réussira éventuellement à l’y maintenir plus tard. L’adjonction d’un ouvroir à l’école des filles demeure le gage de son succès. L’atelier de couture, de broderie, de lingerie, des travaux appropriés aux régions et aux usages devront être l’accompagnement obligatoire de toute création nouvelle.
Malgré tout, en 1898, le recensement des filles musulmanes scolarisées donne un chiffre n’excédent guère le million. Cette lecture relative de la scolarisation n’était pourtant imputable ni aux maîtres dont les efforts étaient flagrants, ni à l’indifférence de l’Administration académique.
En 1907, on comptait neuf écoles de filles comprenant 15 classes et huit écoles enfantines où les fillettes pouvaient être reçues. L’effectif scolaire féminin était de 2540.
A cette époque, une opinion s’était désormais fait jour, suivant laquelle c’est à la femme qu’est confiée l’éducation des enfants et qu’en conséquence, il y a nécessité à ce qu’elle soit elle-même instruite, ce qui est un moyen de l’amener à contribuer au bien être matériel et moral de la famille. Pour la première fois, les notables musulmans d’une ville importante formulèrent un vœu en faveur de la création d’une école de filles.
Ainsi le rôle de la femme dans la société commençait à être entrevu, sinon encore entièrement compris, et, pour donner satisfaction aux nouvelles aspirations qui se révélaient, l’administration institua sur le champ à Oran un stage théorique et pratique, où quelques institutrices, choisies parmi les plus intelligentes et les plus zélées et ayant une connaissance suffisante de la langue arabe et du goût pour les travaux manuels, devaient désormais se préparer à la tâche d’éducatrice qu’elles aient avoir à remplir dans les « écoles ouvroirs » sans cesse plus nombreuses.
Cette situation alla en s’améliorant jusqu’en 1914. La période des hostilités ne fut guère favorable, car en raison du coût de la vie, beaucoup de musulmans au lieu de faire donner à leurs fillettes une instruction qui ne leur servirait que plus tard, préférèrent en tirer immédiatement un profit, si minime soit-il, en les employant à des petites besognes rémunérées : triage de fruits ou de primeurs, ou en les envoyant dans des ateliers.
De 1920 à 1930, la situation s’améliore :
Le niveau de l’enseignement théorique reste, il est vrai, encore assez bas. Ce n’est pas à préparer les diplômes que visent les écoles de filles musulmanes, ce sont des écoles ménagères plus que des écoles primaires.
L’action des établissements scolaires de filles se poursuit par l’œuvre d’assistance sociale post scolaire, qui procure du travail aux anciennes élèves et les aide à écouler leur production dans des conditions rémunératrices.
L’enseignement féminin a d’ailleurs trouvé désormais de chauds partisans dans la population musulmane. En 1923, « l’association des instituteurs » d’origine musulmane, formule le vœu que des écoles de filles soient créés partout où il existe déjà des écoles de garçons.
« Nos camarades – écrit le Secrétaire Général – sont unanimes à déplorer cette lacune regrettable, parce que l’enseignement primaire des indigènes, déjà insuffisamment distribué aux garçons, restera à peu près sans effet tant qu’il ne sera pas donné au moins partiellement aux filles. »
Dans certaines localités on s’ingénie même à trouver des solutions de fortune, à recevoir par exemple les fillettes dans les écoles de garçons en dehors des heures de classe normales ou pendant les jours de congé hebdomadaires. Il est incontestable, d’autre part, qu’un changement se produit dans la conception que beaucoup de parents musulmans se font de l’éducation de leurs filles. Il aura fallu attendre un siècle.
Sans cesser d’apprécier hautement l’enseignement ménager et pratique et sans dédaigner l’apprentissage d’ouvrages manuels, ils en viennent à attacher plus d’importance à l’instruction proprement dite et particulièrement à la connaissance du français.
En 1939, le nombre de fillettes musulmanes qui recevraient une instruction élémentaire était de 21 679, en 1946 du 38 879.
Malgré l’effort réalisé, la disproportion n’en reste pas moins grande entre élèves-filles et élèves garçons : 39 000 environ d’une part contre 119 000 de l’autre.
L’évolution de la mentalité musulmane ayant créé le désir nouveau d’amener les enfants des deux sexes à un niveau de culture sensiblement égal, il est devenu essentiel de multiplier les créations d’écoles de filles et de partage rationnellement l’horaire des cours entre l’enseignement théorique, l’enseignement ménager et familial et l’enseignement technique.