Notice

Faut-il enseigner l’arabe dans l’ensemble des écoles indigènes ?

Ce document, conservé aux Archives nationales d’Outre-Mer à la cote GGA 14 H 41, peut être mis en relation avec une note sur l’enseignement du français datant du 19 mai 1941.

Lettre n°297 du 1er février 1936 du recteur de l’académie d’Alger au gouverneur général de l’Algérie

Par lettre n°7300 en date du 17 décembre 1935, vous avez bien voulu me demander mon avis sur les vœux formulés, dans sa dernière session, par la commission interministérielle des Affaires musulmanes.

J’ai l’honneur de vous donner ci-dessous ma réponse.

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1° L’enseignement de l’arabe dans les écoles primaires européennes et indigènes.

La Commission demande que l’arabe soit enseigné dans toutes les écoles européennes. Or, un essai très loyal a été tenté en 1906, ainsi que l’atteste la brochure ci-jointe : il n’a donné aucun résultat, et il est tout à fait certain qu’un nouvel essai n’en donnerait pas davantage. On rencontrerait beaucoup de mauvais vouloir de la part des familles, on trouverait malaisément le personnel qui donnerait avec fruit cet enseignement, on surchargerait enfin des programmes qui sont déjà trop lourds et qu’on sacrifierait pour une veine apparence des matières de première utilité.

Je signale, au surplus, que l’enseignement de l’arabe vulgaire est obligatoire dans les écoles primaires supérieures et les écoles normales. Même là, il se heurte fréquemment à de grosses difficultés. Je ne crois pas que nous puissions aller plus loin.

La commission demande également que l’arabe soit enseigné dans toutes les écoles primaires indigènes. De quel arabe s’agit-il ? L’arabe vulgaire, tous les élèves le savent, s’ils sont arabophones, et il suffira – je n’y vois d’ailleurs aucun inconvénient et je suis tout disposé à prendre cette mesure – de leur apprendre l’alphabet ; s’ils sont berbérophones, je ne vois pas la nécessité de les arabiser ; ce n’est pas pour cela que nous sommes ici.

Quant à l’arabe classique, il est déjà enseigné par les mouderrès dans les écoles des principales agglomérations urbaines : qu’on augmente le nombre de mouderrès chargés de ce service dans nos écoles : j’y consens volontiers ; mais il est bien clair que cet enseignement ne peut s’adresser qu’à des élèves déjà avancés, qu’il ne doit diminuer en rien la part des autres éléments du programme et qu’il importe de lui laisser un caractère facultatif.

Au demeurant, la Commission demande en même temps que le statut et les programmes de l’Enseignement des indigènes tendent à se rapprocher de plus en plus du statut et des programmes des écoles européennes. Rien ne prouve mieux que cette contradiction, comment les indigènes d’Algérie sont tirallés entre leur volonté de se fondre dans notre civilisation et les appels que leur lance l’Islam des pays voisins. Mais c’est à nous de les soutenir dans ce débat de conscience et de ne point consentir paresseusement des concessions qui leur seraient funestes.

En ce qui regarde le rapprochement des deux enseignements, il est à peu près réalisé dans les centres urbains et je ne fais nulle difficulté de l’accentuer davantage. Les classes d’initiation resteront nécessaires pour les années de début ; mais dès le cours élémentaire deuxième année, toute différence peut s’effacer à bref délai.

Je ne ferai de réserves que pour les campagnes ; là, il est absolument indispensable que l’école déracine le moins possible ses élèves, qu’elle se préoccupe avant tout d’améliorer ce genre de vie et qu’elle ne permette qu’aux individus d’exception l’accès à une culture générale plus étendue.

Le vœu relatif au passage dans les écoles primaires supérieures est sans objet. Dès maintenant, les bons élèves des écoles d’indigènes passent, aussi aisément que leurs camarades européens dans les Écoles primaires supérieures, et des bourses leur sont largement distribuées. Il n’en sera peut-être plus de même le jour où le certificat d’études primaires indigène sera supprimé ; car cet examen, au contraire du certificat d’études européen, prévoit, dans l’intérêt même des indigènes et pour élever le niveau de leurs études, que la note de français est éliminatoire.

Pour l’enseignement des filles, nul plus que moi n’est sincèrement décidé à le développer, dans la mesure des ressources qui seront mises à ma disposition. Mais je ne vois pas l’utilité d’y faire une place à l’enseignement de l’arabe, qui soulève ici, d’ailleurs les objections plus haut formulées à propos de l’enseignement des garçons. L’enseignement ménager est autrement urgent, et le français, comme il est désirable, ne deviendra en Algérie une langue maternelle que le jour où les femmes le sauront.

2° Médersas

  1. Le niveau de l’examen d’entrée peut être élevé, sans qu’il soit besoin de créer une année préparatoire, qui entrainerait de grands frais et présenterait pour les candidats toutes sortes d’inconvénients pratiques. Les cours complémentaires suffisent à la préparation, qui, ces derniers temps, a réalisé de très sensibles progrès et qui peut s’améliorer encore sans institutions nouvelles.
  2. La 4ème année prépare tout naturellement à la division supérieure. Concevrait-on dans la classe de première d’un lycée, un enseignement préparatoire au baccalauréat en plus de l’enseignement normal ?
  3. Le niveau des études suit le relèvement du concours d’entrée, et dès cette année, la formation pédagogique des mouderrès est organisée.
  4. Le recrutement actuel des professeurs de medersas, tant français qu’indigènes, ne laisse rien à désirer : je serais en mesure de le prouver en prenant une par une les nominations qui ont été faites au cours de ces dernières années.
  5. La question des débouchés dépasse ma compétence, mais je me rallie tout à fait au vœu de la Commission. Si les anciens élèves des médersas devaient continuer de ce caser aussi malaisément qu’en ce moment, il vaudrait mieux réduire le chiffre des admissions annuelles.

3° Enseignement libre de l’arabe

Je demande qu’on se reporte sur ce point à ma lettre du 23 octobre 1934, relative au même objet. Je n’ai pas changé d’avis. Je pense toujours qu’il y a lieu d’être plus exigeant pour les « médersas privées » que pour les écoles coraniques, à moins que ces médersas privées se limitent strictement, réellement à un enseignement religieux, le mot religieux étant pris au sens où nous avons accoutumé de l’entendre.

4° Inspection de l’enseignement

Je souhaite vivement que l’inspection des écoles libres soit organisée. Elle pourrait être confiée, sous forme de missions, à M. Alfred BEL, ancien directeur de la médersa de Tlemcen et spécialiste éminent d’islamologie.