Notice

Comment enseigner le français dans l’ensemble des écoles ?

Ce document conservé aux Archives Nationales d’Outre-Mer à la cote GGA 14 H 41, peut être rapproché d’une lettre du 1er février 1936 du recteur de l’académie d’Alger au gouverneur général d’Algérie.

Note n°564 CIE du 19 mai 1941 sur l’enseignement du français dans les écoles coraniques, Centre d’information et d’études

SITUATION ACTUELLE :

Le projet HARDY, qui prévoit la scolarisation complète, d’ici à une dizaine d’années, de toute l’enfance musulmane des villes, a reçu le meilleur accueil, et sa réalisation fera beaucoup pour l’intégration définitive de l’Algérie dans l’Unité Française.

Il ne s’agit cependant, pour le moment, que d’un projet. Sa mise en application laissera subsister, pendant plusieurs années, un nombre important de jeunes citadins non scolarisés (2000 à 3000 actuellement à Alger). Ces enfants, appartenant pour la plupart à des familles miséreuses, traînent à longueur de journée, dans les rues au grand détriment de leur santé physique et morale. Leurs parents s’inquiètent de leur avenir, dont ils accusent l’administration de se désintéresser.

Les maitres d’écoles musulmans recueillent dans la faible mesure de leurs moyens, une partie de ces enfants. Mais la situation de ces maitres devient de plus en plus précaire, nombre de familles n’ayant plus les moyens de leur verser, chaque mois, les dix francs accoutumés. L’amertume qu’ils en ressentent ne fait pas, de ces maitres, des collaborateurs enthousiastes du Redressement National. Ils ne savent, d’ailleurs enseigner que des éléments d’arabe coranique. Leurs élèves restent ignorants du Français, désarmés pour l’existence, accessible à toutes les propagandes pernicieuses.

PRINCIPE DE LA SOLUTION PROPOSÉE :

Un palliatif peu coûteux pourrait être trouvé par l’utilisation, au mieux des possibilités, des écoles coraniques existantes. Le principe serait le suivant :

1/ Faciliter le fonctionnement des écoles coraniques existantes par une interprétation libérale de leur réglementation. Qu’un local pour lequel les services d’hygiène ont limité à 25, par exemple, le maximum d’élèves, en recueille une trentaine, cela met-il en danger la souveraineté française ? Du point de vue même de l’hygiène publique, les enfants ne sont-ils pas mieux dans une école, même étroite, que dans la rue ? Le souci que nous montrons du cubage d’air des écoles ne risque-t-il pas d’apparaitre comme une dérision aux habitants de certains bidonvilles ?

2/ Demander, en contrepartie, à ces écoles, de prévoir un enseignement rudimentaire de notre langue : lecture, écriture, calcul (au moins deux heures par jour), voir un peu d’artisanat.

MODALITES FINANCIERES :

Il est douteux qu’aucune école indigène puisse prendre à sa charge la rémunération d’un maitre de français. Dans quelques cas, on trouvera peut-être des personnes de bonne volonté pour assurer gratuitement cet enseignement. Le plus souvent, il faudra payer ces maîtres, mais des jeunes gens au niveau du brevet élémentaire suffiront largement. Dans la plupart des cas, ils se contenteront sans doute d’une mensualité de 8000 francs par exemple. Chacun d’eux se consacrerait le matin à une école, l’après-midi à une autre, ce qui réduirait à 400 francs par mois la subvention mensuelle de chaque établissement (I).

La tâche de ces maitres devant être, non seulement d’instruire mais d’éduquer, il est indispensable qu’ils soient français. Un indigène, même d’un niveau supérieur, ne saura jamais implanter l’idée française comme le fera un jeune métropolitain.

Dans certain cas, il faudrait également accorder aux écoles, soit une subvention pour améliorer leur installation, soit une quote-part de loyer. Il s’agirait, en tout cas, que de sommes assez minimes en regard des services qu’on est en droit d’en attendre pour la diffusion de l’idée française.

CONTRÔLE ET SURVEILLANCE :

Il est douteux que les principes administratifs permettent à l’Université de se charger du recrutement, du contrôle, et de la surveillance de ces maitres de français. Il faudrait, soit avoir recours à une personnalité française s’intéressant à la question, soit à une œuvre privée, à qui l’on verserait les subventions nécessaires, et qui jouerait un peu le rôle que jouait naguère l’alliance française à l’étranger.

Du contrôle des maitres français, on pourrait passer, progressivement et avec tact, au contrôle officieux des maitres indigènes. Le problème essentiel serait, là encore, de choisir une personnalité ne portant ombrage à personne : le cheikh Abderrahmane DJILALI, par exemple, mouderrès à Alger et professeur à la CHABIBA, ferait peut-être l’affaire.

RÉPERCUSSIONS POLITIQUES

La mise en application de ce système, faite avec la progressivité et le doigté nécessaires, rencontrerait sans doute le meilleur accueil. Quelques écoles sont déjà entrées dans cette voie. Plusieurs autres offrent à les suivre. Tous les parents, sans exception, seraient heureux de voir leurs enfants apprendre le français. Les instituteurs coraniques, dont la situation serait améliorée par cette intervention de l’État (car l’effectif de leurs élèves ne manquerait pas d’augmenter) ne pourraient que nous en remercier. Bien des enfants, enfin, condamnés actuellement à devenir des voyous auraient la possibilité de s’intégrer utilement dans le système social de l’Algérie française.

Sur tous les plans, il y aurait un bénéfice certain pour la collectivité et pour l’idée française.